Quand la rue égyptienne en appelle à l’armée
editorial
Difficile de dire s’il s’agit d’un énième épisode d’une révolution en cours, d’un acte contre-révolutionnaire ou tout bonnement d’un coup d’Etat. Tout dépendra du point de vue. Et ils sont aussi nombreux que peut l’être l’Egypte divisée d’aujourd’hui
Difficile de dire s’il s’agit d’un énième épisode d’une révolution en cours, d’un acte contre-révolutionnaire ou tout bonnement d’un coup d’Etat. Tout dépendra du point de vue. Et ils sont aussi nombreux que peut l’être l’Egypte divisée d’aujourd’hui. Une seule certitude: un an après avoir transmis le pouvoir à un président démocratiquement élu, Mohamed Morsi, l’armée revient en arbitre d’une bataille politique qui menace de virer à la guerre civile.
Le possible retour des généraux – ce n’est pas le moindre paradoxe d’un pays économiquement à la dérive – est applaudi par la rue. Celle-là même qui, en janvier 2011, appelait au départ de Moubarak et à la fin du pouvoir militaire. Deux ans plus tard, c’est pour dénoncer la dérive autoritaire des Frères musulmans au pouvoir que des millions d’Egyptiens de divers bords se mobilisent. Et comme pour Moubarak, ils crient: «Dégage!»
L’Egypte de Morsi ne s’est pourtant pas transformée en théocratie islamiste, comme le craignaient certains. Mais la confrérie s’est montrée bien incapable de créer le consensus nécessaire pour remettre le pays au travail. Or, il y a urgence d’agir.
L’opposition menace d’une grève générale si le président Morsi n’a pas quitté son fauteuil ce mardi à 17 heures. Hier, l’armée a donné 48 heures «à toutes les forces politiques pour se réconcilier et mettre fin à la crise actuelle». Son chef, Abdel Fattah al-Sissi, parle d’être au côté du peuple et de respect de la démocratie. Des déclarations pour le moins ambiguës. De quel peuple parle-t-il? De quelle démocratie? L’espoir d’une grande partie de l’opposition, qu’elle soit laïque, issue des anciens soutiens à Moubarak ou même salafiste, est la mise en place d’un gouvernement d’union nationale formé de technocrates.
Mais c’est faire peu de cas des Frères musulmans qui, s’ils sont indéniablement en perte de vitesse, restent la principale force du pays. Sont-ils prêts à renoncer à leur pouvoir issu de la légitimité des urnes pour une nouvelle phase de transition, dans l’intérêt général? Rien n’est moins sûr. La rue égyptienne, encore une fois, décidera. Si elle reste aussi fortement mobilisée que ce week-end, elle donnera une forme de légitimité à l’armée pour imposer cette solution, y compris aux plus extrémistes. Dans un tel scénario, cette même rue devra aussitôt veiller à ce que ces généraux du peuple ne confisquent pas tout simplement le pouvoir.
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