Se souvenir de l’accueil selon Merkel
Editorial. Une «vague migratoire» est en route, reste à décider comment la gérer. Alors que l’économie suisse manque cruellement de bras, faisons preuve de «pragmatisme»

La guerre en Ukraine, la guerre en Syrie, la chute de Kaboul, l’instabilité économique. L’histoire actuelle est agitée, c’est une litote. Ce chaos, comme tous ceux qui l'ont précédé, a des conséquences économiques, financières… mais surtout humaines. Pour les premiers concernés, le choix est souvent rapide: perdre la vie sur leurs terres, se résigner à une existence indigne. Ou partir. Nous partirions, sans doute, aussi.
En 2022, comme un nombre incalculable de fois auparavant, l’histoire est en marche. Littéralement. Une «vague migratoire» a pris la route. Des dizaines de milliers d’hommes et de femmes cherchent refuge en Occident, ou simplement une vie meilleure (les «migrants économiques», à ne pas confondre avec les «expats»). Cet exode s’accompagne – c’est également une tradition – de l’habituelle machine à faire peur. «Invasion», «débordement», «menace», l’étranger de Schrödinger revient, celui qui paresse toute la journée tout en subtilisant le travail des Suisses. Les centres d’asile sont pleins: c’est la crise.
Réfléchir au-delà des écueils
Rappelons quelques poncifs. Ces cent dernières années, la Suisse a absorbé des centaines de milliers d’Italiens, d’Espagnols, de Portugais et d’ex-Yougoslaves. Ils ont creusé la montagne, posé des autoroutes, construit nos villes et porté la Suisse du sport, de la culture et de l’innovation au firmament. A leur arrivée, on les a accusés de tous les maux. Aujourd’hui, qui s’imaginerait vivre sans eux? Sans parler du fait que l’économie en dépend à tous les niveaux. Inutile de rappeler que les Suisses ont eux-mêmes émigré par dizaines de milliers pour aller chercher une vie meilleure de l’autre côté de l’océan.
Le processus n’est jamais aisé. Entre problèmes de langue, différences culturelles, manque de références communes, méfiance et jalousie: accueillir des inconnus demande du courage et des efforts de part et d’autre. Il n’est cependant pas interdit de réfléchir au-delà des écueils pour prendre des décisions sensées. Outre l’évidence «angélique» d’aider son prochain, la Suisse est un pays vieillissant dans lequel plus de 100 000 places de travail (OFS) attendent preneurs. Restauration, construction, santé, ingénierie, informatique, industrie… Les besoins sont partout, n’attendant que des travailleurs motivés pour les remplir.
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A l’aube d’une nouvelle «vague migratoire», rappelons-nous pourquoi les «étrangers» font chemin vers l’Europe et non vers Moscou. Et saisissons la chance qu’un afflux de bras représente pour le pays. Un mur a-t-il déjà fourni de bons résultats? Les pays qui se ferment aux autres semblent-ils plus fonctionnels? Plus heureux? Face aux sirènes du repli, force est de constater que les 70 000 Ukrainiens arrivés en Suisse depuis le début de l’année ne remplissent pas la rubrique des faits divers. Contrairement à la montée de l’extrême droite. Une année et demie après son départ, on se souvient d’Angela Merkel pour deux décisions. La plus célébrée d’entre elles n’est pas la défense «pragmatique» du Nord Stream avec la Russie.
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