S’entendre avec Ankara: une chimère
Editorial
En s’obstinant à conclure un accord avec la Turquie, Bruxelles trahit ses propres valeurs et ferme les yeux sur les dérives autoritaires du président Recep Tayyip Erdogan

Avec quelle hâte Bruxelles s’ingénie à mettre en place un mauvais accord avec la Turquie! Sans astuce ni vergogne, la capitale de l’Union européenne (UE) semble se réjouir en fermant les yeux sur un désastre annoncé.
Accorder aux citoyens turcs le droit de venir en Europe sans visa préalable, la bonne affaire. On pourrait se réjouir de cette mesurette, si elle ne s’inscrivait pas dans un marchandage cynique: en échange de la levée des visas et d’un élargissement possible de l’UE, on demande à la Turquie de reprendre les réfugiés qui s’amassent en Grèce.
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Tout n’est que mensonge, car les Européens ont rarement été aussi peu désireux d’élargir leur union. Avec tant de problèmes à régler, même les capitales qui ne s’opposeraient pas a priori à l’accueil d’un nouveau membre admettent qu’il y a d’autres urgences, notamment consolider l’Europe actuelle. En maintenant l’illusion que la Turquie pourrait un jour rejoindre le club, mais sans y croire, l’UE fait le lit des déceptions à venir. Si personne n’est dupe, personne ne remet en cause cette stratégie piégeuse et à court terme, à laquelle la Suisse moutonnière s’associe. D’ailleurs le réel nous rattrape déjà.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, glisse vers l’autoritarisme. Son absence d’ouverture à l’égard des Kurdes, sa complaisance envers les groupes islamistes radicaux en Syrie, son mépris de la liberté de la presse et d’expression doivent être condamnés dans des termes fermes. Les accords contractés avec lui vont dans le sens contraire. Il ne s’y trompe pas et se présente d’ailleurs comme le grand vainqueur de ces tractations européennes.
Le premier ministre, Ahmet Davutoglu, vient d’en faire les frais: lui qui pensait pouvoir partager avec le président-sultan les bénéfices symboliques des concessions européennes est désormais poussé vers la sortie. Et devrait quitter le gouvernement d’ici peu.
Alors à quoi rime l’empressement européen? Faute de solution durable face à l’afflux des migrants, Bruxelles préfère mettre un pansement sur une jambe de bois, quitte à renforcer un président turc dont on constate jour après jour qu’il foule aux pieds les valeurs européennes. Mais cette chimère n’aura même pas permis de stopper la progression des droites populistes, comme on le voit en Autriche.
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