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Pourquoi la SNCF peut faire dérailler Macron

ÉDITORIAL. La réforme du rail menée par le gouvernement français est bien plus qu’une affaire de chiffres et d’ouverture à la concurrence. Elle cristallise aussi les errements de l’Etat, et la difficulté à convaincre les usagers des bienfaits de la concurrence

Ce manifestant porte un masque à l'effigie d'Emmanuel Macron. Paris, le 3 avril 2018. — © BENOIT TESSIER/REUTERS
Ce manifestant porte un masque à l'effigie d'Emmanuel Macron. Paris, le 3 avril 2018. — © BENOIT TESSIER/REUTERS

A quand le grand débat télévisé entre Emmanuel Macron et un panel de téléspectateurs français à propos de la réforme annoncée de la SNCF, que les principaux syndicats de l’entreprise veulent à tout prix faire dérailler?

La question, pour ce président de la République maître en communication, n’est pas superficielle. Alors que les usagers ont commencé, mardi 3 avril, à prendre leur mal en patience devant la liste des trains retardés ou annulés en raison de la grève programmée jusqu'à fin juin, les réponses apportées par l’exécutif français à la colère des cheminots laissent perplexe.

Un dossier social à hauts risques

Tout, dans l’argumentaire gouvernemental, est affaire de chiffres, de calendrier et de promesse électorale. Le candidat Emmanuel Macron, affirme l’entourage présidentiel, s’était engagé à réformer l’entreprise publique, née en janvier 1938. Sa dette abyssale d’environ 50 milliards d’euros, entend-on du côté de l’Elysée, n’est pas soutenable.

Et l’ouverture à la concurrence du transport passager sur rail, exigée d’ici à 2020 par les directives communautaires négociées par les pays-membres de l'UE, oblige à passer en force pour tenir le calendrier. Peu ou prou, tout cela est vrai. Mais gare, sur ce dossier social à hauts risques dans une France aux colères toujours inflammables, à ne pas trop tomber dans le piège des équations, des statistiques et de la diabolisation des cheminots.

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L'autre versant des réformes

Avec ses 15 000 trains quotidiens, utilisés chaque jour par des centaines de milliers de voyageurs, la SNCF est bien plus qu’une entreprise. Elle incarne une certaine France tout comme les CFF incarnent une certaine Suisse. Elle illustre, à travers les lignes à grande vitesse au coût exorbitant et aux budgets toujours dépassés, l’ambiguïté des gouvernements successifs, avant tout désireux de satisfaire les grandes métropoles et leurs élus, quitte à plomber les coûts.

Elle impose, surtout, de réfléchir à l’autre versant des réformes vantées au nom de l’efficacité économique et financière. Les usagers seront-ils mieux servis? L’égalité des territoires face au rail sera-t-elle sauvegardée? L’ouverture à la concurrence – qui suscite actuellement la colère en Allemagne – signifiera-t-elle une dégradation supplémentaire des conditions de travail et de sécurité?

Les mains dans le cambouis

Reléguer au second plan ces interrogations, en pleine bataille sociale, serait une grande erreur pour Emmanuel Macron. S’il veut convaincre les Français de la justesse de sa «transformation», celui-ci doit mettre, avec le talent de pédagogue et la volonté qu’on lui connaît, les mains dans le cambouis des chemins de fer. Il doit aussi prendre des engagements auprès des cheminots et des usagers, et encourager le débat parlementaire à venir plutôt que de l’assommer à coups d’ordonnances adoptées à la va-vite.

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Pour ne pas dérailler, l’indispensable réforme de cette entreprise symbole exige l’exemplarité au plus haut niveau de son propriétaire, désireux de le rester: l’Etat français.