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Les Suisses, des cancres linguistiques qui s’ignorent

ÉDITORIAL. La maîtrise des langues reste un avantage considérable pour décrocher l’emploi de ses rêves. Contrairement à ce que l’on pense, les Suisses sont loin d’être aussi polyglottes qu’ils ne l’imaginent

Cartes à remplir avec le logo du Conseil national en trois langues nationales, le lundi 14 septembre 2015,  Berne. — © Alessandro Della Valle / Keystone
Cartes à remplir avec le logo du Conseil national en trois langues nationales, le lundi 14 septembre 2015, Berne. — © Alessandro Della Valle / Keystone

«Baume-Schneider spricht kein Wort Englisch.» A peine la nouvelle conseillère fédérale avait-elle prêté serment en décembre que la polémique enflammait déjà les médias alémaniques. Une «ministre» suisse peut-elle représenter dignement notre pays sur la scène internationale sans maîtriser la langue de Churchill?

La question reste ouverte, mais son baptême du feu à Bruxelles a confirmé que la politicienne n’avait pas privilégié cet idiome durant son riche parcours. Elle se consolera sûrement en sachant qu’elle n’est de loin pas un cas isolé: si les Confédérés adorent vanter le plurilinguisme national, ils oublient que beaucoup d’entre eux n’ont rien à envier à la Jurassienne.

Publié en 2022, l’English Proficiency Index plaçait les Helvètes au 29e rang d’un classement emmené par les Pays-Bas, Singapour et l’Autriche. La chute de dix places observée en trois ans ne manque pas d’inquiéter. Encore un effort et la France, 34e, nous supplantera.

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L’étude se concentrant sur les adultes, le salut viendra-t-il de la relève biberonnée aux vidéos YouTube? Le verdict tombera bientôt puisque, dès 2025, PISA, l’étude de l’OCDE sur les compétences scolaires, se penchera aussi sur les aptitudes linguistiques. Quelques signaux n’incitent toutefois pas à l’optimisme. En début d’année, le désintérêt des jeunes vis-à-vis des séjours à l’étranger était pointé par l’agence nationale Movetia, chargée de leur promotion.

Ceux-ci préfèrent peut-être franchir la Sarine ou le Gothard pour soigner leur agilité en allemand, en français ou en italien. Impossible en effet de critiquer les piètres performances suisses dans la langue des affaires sans rappeler que l’apprentissage des langues nationales fait de l’ombre à l’anglais. Quelques jours passés au Luxembourg montrent toutefois à quel point il est possible de mieux exploiter un terreau polyglotte.

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Obsédée par son excellence scientifique et technologique, la Suisse néglige le capital linguistique unique qu’elle détient. Sensibilisation accrue en crèche, enseignement bilingue, stimulation aux échanges internes: de multiples pistes sont pourtant à portée de main. Il suffit de citer des exemples comme les séjours au pair, les services civil et militaire pour se rappeler qu’elles n’ont pas besoin d’être réservées à une élite.

Hélas, pour l’heure, seuls les esprits audacieux, curieux ou privilégiés exploitent de tels filons. En plus d’une précieuse ouverture d’esprit, ils y gagnent, comme le confirment toutes les études, un atout bienvenu dans leur carrière professionnelle.


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