Il est minuit moins 90 secondes. L’apocalypse est proche, si l’on en croit l’horloge symbolique, bien connue, du Bulletin of the Atomic Scientists. L’idée de fin du monde est partout. Des rapports du GIEC aux scènes post-cataclysmiques de la série The Last of Us. L’effondrement s’infuse dans nos inconscients tandis que les événements de ces dernières années lui confèrent une tangibilité glaçante. Ici, un virus meurtrier planétaire. Là, une Terre sur laquelle le réchauffement climatique s’accélère. Vous prendrez bien aussi une guerre sur le continent et une double crise énergétique et économique?

Il est minuit moins 90 secondes et il est donc l’heure non plus de vivre, mais de survivre. C’est en tout cas le credo des survivalistes, celles et ceux qui ont fait de la préparation au pire un mode de vie. Ils compilent les boîtes de conserve, les angoisses et les théorisations d’un «demain» né du chaos, dans lequel ils seraient les uniques et glorieux survivants. Leurs profils sont multiples et courent sur une ligne qui va du scout pacifiste au combattant d’extrême droite. Reste qu’aujourd’hui, contexte anxiogène oblige, l’imaginaire survivaliste gagne le grand public, explique le sociologue spécialiste des catastrophes Bertrand Vidal. Bienvenue dans l’ère des stages en forêt, de la revanche des plantes comestibles et des «influenceurs survie», vantant tantôt les mérites du dernier sac à dos «ultra-utilitaire», tantôt ceux de la carabine.

Lire notre interview: Guerre, climat, pandémie: le moulin de la pensée survivaliste tourne à plein régime, faut-il s’en inquiéter?

Le danger des réponses simplistes

Face à cette tendance, ne reléguons pas, avec mépris, le survivalisme aux délires de fanatiques surarmés et violents – bien que ces profils existent et doivent évidemment nous inquiéter. Osons regarder le miroir que ce mouvement de fond nous tend. Le reflet d’une société qui a peur. Et qui a de très bonnes raisons d’avoir peur, entre la guerre et la question climatique. Les politiques ont la responsabilité d’arrêter de tergiverser. Parier, COP après COP, session après session aux Chambres fédérales, sur le futur d’une planète en surchauffe, n’est pas un jeu. Il est urgent de s’entendre et de proposer des solutions à la hauteur des angoisses – et des enjeux.

Le renouveau du survivalisme est le symptôme d’une époque qui a ardemment besoin de réponses et d’actions. Si le système politique, économique et social dans lequel chacun s’inscrit n’en donne pas, ou pas assez, les sphères d’influence en vase clos se feront une joie d’accueillir les déçus à bras ouverts. Complotisme, radicalisme identitaire, groupements sectaires ne demandent qu’à convaincre que leur lecture, simple et simpliste, d’une réalité complexe est la seule. Et les dérives qu’on leur connaît sont au coin de la rue.

Avant «l’apocalypse», commençons par nous écouter.

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