En Syrie, quelques formules incantatoires
Editorial
En temps de campagne électorale pour les régionales, le discours politique français prend des allures d’incantation qui ne résoudront cependant rien à la situation syrienne

Cela relevait du charabia de quelques allumés, dans les dunes du désert. L’établissement du «califat», auquel tous les Musulmans sont prétendument censés se soumettre; les distinctions entre «l’ennemi proche» et «l’ennemi lointain»; l’avènement de la grande bataille finale, dans laquelle les armées croisées de «Rome», accourues sur place, s’engouffreront dans les abîmes du Jugement dernier…
Tout cela reste un méchant galimatias. Mais, par un tragique effet de miroir, voilà une France heurtée, meurtrie, endeuillée ainsi qu’en… campagne électorale pour les régionales, qui se voit forcée d’adopter un discours presque comparable. L’ennemi est-il proche, voire «intérieur», comme le confirme l’identité des auteurs des attentats du 13 novembre? Ou s’agit-il de viser la lointaine organisation qui veut dynamiter les frontières de l’Orient et qui tient en otage les habitants de Raqqa, de Mossul ou de Palmyre? La «bataille finale», soit l’éradication de l’État islamique (Daech), sera-t-elle possible prochainement – grâce aux drones américains, aux Sukhoï russes, aux Rafale français –, qui verra enfin triompher les forces du bien, à l’aide d’une bonne entente en matière de renseignements, de bombardements bien ciblés et si possible avec zéro morts du côté allié?
A la pensée millénariste répondent les calculs magico-électoraux. A la tragédie feront suite, certainement, un oubli insatisfaisant et une relativisation forcée. Les meilleurs analystes estiment que, si tout va bien, il faudra entre trois et cinq ans pour mener une lutte efficace contre cet «ennemi lointain» devenu soudain si proche. A l’armée américaine, qui avait déployé des dizaines de milliers de guerriers pour ramener un semblant de paix en Irak, ces années n’ont pas suffi. On paie aujourd’hui le prix de ces autres calculs magico-électoraux qui, à l’époque, voulaient résoudre avec une cuiller à pot un fatras que les Américains avaient eux-mêmes créé.
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Prendre langue avec Bachar el-Assad? Cela fait partie de la même logique incantatoire qui vise à résoudre le mal avec la potion qui a été à deux doigts de nous tuer. Bombarder ceux-là même que l’on voudrait voir rejoindre notre camp? C’est la formule qui a fait florès ailleurs. A Grozny, par exemple, la capitale tchétchène, rasée par la Russie, et dont les combattants extrémistes sont aujourd’hui présents en masse… en Syrie.
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Une autre formule de la panoplie djihadiste est entrée dans le langage courant, désormais. C’est celle de la «gestion de la sauvagerie», dont l’État islamique a fait son moteur, dans son manuel du parfait combattant fondamentaliste, en accès libre sur Internet. Aujourd’hui, face à Daech, c’est à cela qu’est réduit l’Occident, qui, depuis un bon siècle dans la région, a accumulé faute sur faute, et coup tordu sur coup tordu. Se désintéresser du problème? Impossible. Y plaquer quelques formules incantatoires? C’est aggraver le fossé. François Hollande a du pain sur la planche.
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