Syrie: le tabou des grandes puissances
Le conflit syrien montre les limites des grandes puissances et leur impuissance à gouverner le monde
On le pressentait. Désormais, on le redoute. L’immonde guerre qui ravage la Syrie met à nu l’impuissance des grandes puissances et défie la résolution ultime des Etats-Unis. Nul ne sait comment venir à bout d’un conflit aussi complexe par l’engagement des acteurs régionaux, devenu confessionnel et meurtrier par le jeu du régime et des djihadistes infiltrés. S’il obtient le feu vert du Congrès, Barack Obama a prévenu que la punition serait «limitée», une punition non mortelle pour Bachar el-Assad et les siens. Cette précaution, qui intervient après l’abstention surprise de la Grande-Bretagne, définit l’ambition du seul pays possédant la technologie et la force capables de frapper à mort un Etat voyou. Une option minimale. Par défaut, car le président américain est trop isolé pour tenter de rompre des équilibres régionaux que ses prédécesseurs ont faits et défaits selon les circonstances. Les grands pays émergents, Russie et Chine, mais également les néo-promus que sont l’Inde et le Brésil, ont peu goûté l’issue de la guerre en Libye. Ils combattront au prochain G20 de Saint-Pétersbourg l’interventionnisme occidental. Qui ne peut plus se draper d’une responsabilité morale soudaine dès lors qu’il n’a cessé de reculer devant un conflit qui a déjà fait plus de 100 000 morts, 4 millions de déplacés internes et 2 millions de réfugiés.
Le face-à-face des Occidentaux avec la Russie et la Chine devant le Conseil de sécurité ne conduit pas forcément à une nouvelle guerre froide, pas plus que nous avons assisté à la fin de l’Histoire. Mais nous comprenons tous que le monde multipolaire, apolaire peut-être, comme l’écrivait dans ces colonnes l’ancien ambassadeur François Nordmann, est instable et pour tout dire très dangereux. Le risque d’un conflit mondial est réel. Que se passera-t-il si le conflit syrien, au cœur des enjeux du Moyen-Orient (Irak, Iran, question kurde, Israël, Liban), devait gagner les voisins proches? A quel moment Occidentaux, Chinois, Russes et pays voisins de la Syrie admettront-ils que le monde né des anciens empires, érigé bien souvent sans tenir compte des aspirations des peuples, mérite d’être discuté collectivement et non décidé par défaut, dans l’urgence d’une riposte dont personne ne mesure la portée? Sans doute pas au G20, et c’est tout le drame de ce sommet de Saint-Pétersbourg qui feint de gouverner un monde où aucune forme de violence ne sera, peut-être, plus taboue.