Pour une Suisse neutre et engagée
ÉDITORIAL. Le parlement s’apprête à débattre de diverses propositions concernant la réexportation des armes. Il est empêtré dans des détails technico-juridiques, alors que la question est bien plus large. Quel rôle la Suisse veut-elle jouer sur la scène internationale?

Il est facile de se perdre dans les argumentations techniques et juridiques sans fin. Quatre textes seront soumis aux députés à Berne dans les prochains mois, proposant autant de versions de réponses à une même question: la Suisse peut-elle accorder le droit à des Etats d’utiliser comme ils l’entendent les armes qu’elle leur a vendues? Ces débats, qui commencent cette semaine, poseront le cadre dans lequel le Conseil fédéral, soumis à diverses demandes de l’étranger, pourra agir.
Lire aussi: Réexporter des armes suisses? Le parlement va trancher, à son rythme
Cette autorisation, pour autant qu’elle soit donnée par le parlement, ne pose aucun problème du point de vue du droit de la neutralité. On parle ici d’autoriser les pays qui ont acheté des munitions ou des armes helvétiques à les réexporter en direction d’un pays dans des conditions bien particulières et limitées. Or, l’Etat neutre n’est même pas tenu d’interdire le commerce des armes vers un belligérant de la part de particuliers et d’entreprises privées (article 7 de la Ve Convention de La Haye de 1907). Cette autorisation n’influencerait pas non plus la capacité de l’action humanitaire helvétique, qui resterait pleine et entière.
Contrairement à ce que veut faire croire l’UDC, la neutralité est un concept évolutif. Depuis le XIXe siècle, elle n’a cessé d’être débattue, adaptée, redéfinie au gré du contexte géopolitique. Elle vise à augmenter la sécurité intérieure et doit servir à la communauté internationale. Un Etat neutre est un Etat qui ne prend pas part à la guerre. Mais il n’est pas pour autant inactif.
Quelle nation être?
C’est là qu’intervient la vraie question que nos élus devraient se poser. Quelle nation la Suisse veut-elle être? Alors que les blocs se redessinent sous l’influence de la guerre en Ukraine, elle a l’occasion de prendre une place ambitieuse, solidaire, basée sur le respect du droit international, utilisant sa neutralité pour se mettre à la disposition des Etats et œuvrer en faveur de la paix. Cette démarche implique de prendre des initiatives, de donner des messages clairs et ouverts aux blocs non occidentaux, de soutenir toute démarche en direction de la paix.
Lire également: Le déminage humanitaire ou l’arme de la neutralité suisse
Elle implique aussi, en vertu du droit international bafoué et de l’interdépendance effective de la Suisse avec ses voisins, de ne pas réduire la capacité d’agir des pays qui soutiennent la nation agressée et protègent les autres. L’article 2 de la Constitution fédérale l’érige en but: la Confédération s’engage «en faveur d’un ordre international juste et pacifique». En acceptant rapidement cette autorisation de réexportation des armes, le parlement aiderait le gouvernement à prendre une position plus claire, plus engagée, lui donnant la marge de manœuvre nécessaire pour agir réellement dans ses liens avec les capitales. Et à positionner la Suisse dans un rôle utile à la communauté mondiale, favorisant en même temps une plus grande sécurité intérieure.
Retrouvez notre dossier sur la neutralité suisse