Le titre fait référence à la fable de La Fontaine. L’exercice du pouvoir s’apparente à une peste lorsqu’il s’exerce dans des structures ecclésiales, qui non seulement n’en ont pas besoin, mais qui ont été érigées à distance du pouvoir politique, comme un recours contre lui, comme la présence d’une dimension transcendante. Rien n’est pire qu’une religion d’Etat, sinon un Etat religieux.

L’Eglise catholique est gravement atteinte, parce qu’elle présente la singularité d’être aussi un Etat de plein droit, le Vatican. Pour exercer pleinement sa vocation religieuse, elle a voulu être une institution exerçant des pouvoirs régaliens. Or, ceux-ci ne se limitent pas à quelques hectares de l’Italie, mais s’étendent au monde entier. Dès lors cette Eglise, avec plusieurs millions de religieux et de religieuses, fonctionne comme une multinationale, susceptible des déviations propres à ce genre d’entreprise: centralisme, carriérisme, corruption.

On a découvert par médias interposés l’épidémie de pédophilie, la direction spirituelle couvrant des viols de religieuses, la réprobation de l’homosexualité par des adeptes de celle-ci. Lorsque le nonce apostolique de Paris se livre à des harcèlements sexuels en pleine réception officielle à la Mairie, on dépasse l’odieux pour tomber dans le ridicule. Davantage que d’autres grandes entreprises, l’institution souffre d’un pouvoir exercé sans limite, parce qu’il est non seulement absolu, mais bien plus, consacré comme d’origine divine. Il s’agit d’une stagnation ou d’une régression dans le paganisme, qui ne concevait le pouvoir politique que fondé sur le sacré.

A l’exemple des réformés

A côté des abuseurs criminels continuent à œuvrer des millions de religieux et de laïcs qui s’efforcent, jour après jour, de remplir leurs missions pastorales dans la dignité, le désintéressement et la modestie. Eux n’exercent pas le pouvoir, mais ils sont déconsidérés par la carence ou la duplicité de ceux qui le détiennent.

Bien entendu, cette pathologie a donné lieu à des propositions qui visent toutes à corriger l’exercice d’un pouvoir absolu et sacralisé, réservé à un petit groupe d’hommes, majoritairement des célibataires âgés, à l’exclusion des femmes. Ces propositions ne portent pas sur la doctrine mais uniquement sur l’organisation de cette Eglise romaine, en tant qu’institution humaine.

C’est maintenant aux Eglises à ne plus se prendre pour des entreprises de droit divin

Que l’égalité parfaite soit réalisée entre hommes et femmes. Que les femmes accèdent aux ministères ordonnés, comme à toutes les fonctions de la société civile. Qu’elles participent pleinement aux décisions. Que l’obligation du célibat ecclésiastique soit abrogée, pour ouvrir la possibilité d’ordonner des hommes ou des femmes, marié(e)s ou non. Que tous les mandats soient attribués par une procédure démocratique. Qu’ils soient limités dans le temps et soumis à évaluation.

Ces réformes élémentaires, qui attendront encore longtemps, voire à tout jamais, avant d’être réalisées dans l’Eglise catholique, le sont déjà dans les Eglises réformées. Or, les désordres actuels de l’Eglise évangélique réformée de Vaud montrent que ces réformes sont ou bien insuffisantes, ou bien mal appliquées. Dans l’exercice du pouvoir, même synodal, la structure cantonale reproduit en petit celui d’une Eglise multinationale. Les ministres du culte sont traités comme des employés qu’on licencie s’ils cessent d’être conformes au modèle imposé. Un directeur des ressources humaines se mue en autorité dogmatique et pastorale. De même les patriarcats de l’Eglise orthodoxe s’abandonnent à des excommunications réciproques. Ou encore l’islam, exemple de diversité et d’autonomie, est devenu violent lorsqu’un califat a été rétabli.

Selon le principe d’acratie

C’est donc le pouvoir, en tant que tel, qui est abusif dans toute Eglise. La Suisse politique fonctionne très bien selon le principe d’acratie, c’est-à-dire d’absence de pouvoir, de sa dilution au point où chaque citoyen en détient une parcelle. C’est un modèle pour toutes les Eglises. Elles devraient se dispenser d’une administration centrale et d’une instance de régulation dogmatique.

Si des croyants se réunissent pour prier, pour célébrer, pour partager leurs intuitions, la norme idéale semble une communauté autonome, se recrutant par attirance mutuelle, élisant ses responsables, multipliant ceux-ci en fonction de leurs charismes. Aux uns la présidence des offices, à d’autres la prédication ou les chants, à d’autres encore l’accueil et le soutien des indigents de toutes sortes, pauvres, malades, réfugiés.

L’Etat helvétique ne se mêle point de spiritualité, sinon pour mettre, via les cantons, des locaux à disposition ou pour subventionner les activités de type social, comme il le fait pour tant d’entités culturelles, sportives, caritatives. Il rend ainsi à Dieu ce qui lui appartient, en abandonnant forcément le pouvoir spirituel, malheureusement parfois à des Césars au petit pied. C’est maintenant aux Eglises à ne plus se prendre pour des entreprises de droit divin, mais au contraire pour des lieux de non-pouvoir, d’acratie. Elles seront d’autant plus efficaces qu’elles seront moins organisées.

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