La transition numérique fait partie des défis les plus importants auxquels notre société doit faire face et cela depuis près d’une décennie maintenant. Ce défi concerne tous les pays, et la Suisse n’échappe pas à cette situation. Toutefois, malgré ses classements avantageux qui la font caracoler en tête en matière d’innovation, de compétitivité, de qualité de vie, etc., elle accuse un retard de plus en plus alarmant dans sa capacité à mettre en œuvre cette transition numérique.

Le défi est considérable et touche tous les domaines de la société, qu’il s’agisse de santé, d’économie, de mobilité, d’agriculture, d’énergie, d’éducation ou encore de notre démocratie et de son fonctionnement par la manipulation, les fake news, etc. Il n’est pas aujourd’hui de sujet pour lequel nous pouvons nous affranchir d’une dimension numérique. Plus graves encore sont les sujets ayant des implications internationales comme la protection des données ou encore la question des villes intelligentes et de l’internet des objets, qui en fait largement partie mais dont les vulnérabilités sont immenses, et qui entraîne que cela devrait relever des infrastructures critiques.

Aucun écho

Ce sont ces enjeux qui, déjà lors des élections fédérales de 2015, nous avaient amenés à tenter de lancer un débat national sur la transition numérique qui n’eut malheureusement aucun écho ni impact. Forts de cet échec, c’est avec quelques collègues zurichois et bernois qu’a germé l’idée d’inviter à nouveau cette question dans le cadre des élections fédérales de cette année par un projet de «baromètre numérique» avec un questionnaire de politique générale numérique soumis à tous les candidats enregistrés sur la plateforme Smartvote. L’objectif était doublement louable car il avait pour vocation d’éveiller les candidats à cette question et de permettre l’établissement, au lendemain des résultats, d’une première «cartographie» des orientations de notre nouveau parlement en matière de politique numérique.

Les premiers résultats tombés un mois avant les élections nous ont donné à réfléchir: seulement 20% environ des candidats avaient rempli le questionnaire, semblant indiquer un mélange entre l’absence de cet enjeu dans la campagne, une forme d’illectronisme (illettrisme numérique) et un manque de conscience de l’importance du sujet pour l’avenir de la Suisse.

Silence coupable

Les partis auraient-ils donné des consignes de ne pas répondre à ce questionnaire sur la numérisation? La question a été posée aux principaux partis politiques sur Twitter le 30 septembre dernier. Elle n’obtiendra qu’une seule réponse, des Verts suisses, indiquant que bien au contraire, le baromètre numérique avait été spécifiquement rappelé à leurs candidats. Pour le reste, c’est un silence coupable qui domine toujours sur cette question.

Au lendemain des élections, les chiffres parlaient d’eux-mêmes. Sur les 200 élus au Conseil national, seuls 28, soit 14%, avaient complété le questionnaire, essentiellement dans les rangs des Verts. Dès lors, et dans l’hypothèse de consignes données, si elles devaient se confirmer, la question qui se poserait serait de savoir comment nous pouvons en tant que société, acteurs politiques soi-disant responsables, dirigeants de partis politiques, candidats et simples citoyens, tolérer des manœuvres relevant plus de la politique politicienne, à la limite du dévoiement de notre démocratie, que d’une société responsable? Dans le cas contraire, il faudrait simplement entendre que la transition numérique de la Suisse n’est pas prête à démarrer.

Devoir de progrès

Au final, le constat pourrait être amer et conduire à la polémique. Mais en tant qu’universitaires, nous avons un devoir de progrès, un souci du bien commun. C’est ainsi que par la présente tribune, nous interpellons formellement TOUS les élus du Conseil national n’ayant pas encore complété le questionnaire sur la numérisation de notre pays à prendre un petit moment afin de se rendre sur Smartvote pour répondre aux 20 questions de politique générale numérique de notre pays d’ici début novembre. Cela représente une modeste contribution de transparence en regard de la responsabilité du mandat de parlementaire confié pour les quatre prochaines années et dont une grande majorité des objets à traiter auront des enjeux numériques.

Ainsi, peut-être pourrons-nous enfin entamer, avant les prochaines élections fédérales, un débat public sur la société numérique dans laquelle nous souhaitons vivre avec ses opportunités et ne pas subir naïvement le cynisme économique d’une industrie dominée par des mastodontes du numérique n’ayant aucun intérêt à changer quoi que ce soit à leurs modèles économiques (les too fat to change). Cela est un enjeu de responsabilité numérique et il doit être incarné par nos pouvoirs législatifs et exécutifs.


Jean-Henry Morin est professeur de systèmes d’information à l’Université de Genève.

Alessia Neuroni est professeure en transformation du secteur public à la Haute Ecole spécialisée de Berne.


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