Elisabeth Kopp s'apprête une nouvelle fois à jouer le rôle de l'héroïne tragique. Ce vendredi soir, elle sera dans la salle aux Journées cinématographiques de Soleure pour la première de Winterreise, un documentaire signé du jeune réalisateur Andres Brütsch. «J'attends du film que les gens réfléchissent à comment cela a pu arriver», a-t-elle déclaré à la TV alémanique.

Elle ne doit pas espérer que la salle du Landhaus l'ovationne. Toujours digne et élégante, elle provoque un sentiment de gêne à chaque apparition. Et ce n'est pas la présence à ses côtés d'un Hans W. Kopp au regard indéchiffrable qui détend la situation. Car dix-huit ans plus tard, les Suisses continuent d'en vouloir férocement à la première conseillère fédérale du pays, forcée à la démission pour avoir averti son mari de se retirer du conseil d'administration d'une firme soupçonnée de blanchiment d'argent. Même si, en 1990, le Tribunal fédéral l'avait libérée de l'accusation de violation du secret de fonction.

L'ancienne ministre de la Justice ne fait rien pour faciliter une réhabilitation qu'elle appelle pourtant de ses vœux. Le temps a passé depuis cette noire journée du 12 décembre 1988, mais son «Mich trifft keine Schuld, weder moralisch noch juristisch» («Je n'ai aucune faute morale ou juridique à me reprocher»), la déclaration qu'elle avait faite à l'annonce de son retrait, le visage fermé et les lèvres pincées, résonne encore comme si c'était hier.

A chaque intervention, Elisabeth Kopp se montre à la hauteur de sa réputation de politicienne arrogante. Les téléspectateurs romands ont pu s'en convaincre lors de son apparition dimanche dernier sur le plateau de Mise au point, sur la TSR. Sur ce ton apparemment sans émotion qui la caractérise, elle a déclaré: «Je ne veux pas me défendre, parce que je n'en ai pas besoin. [...] Je n'ai pas fait de faute.»

Une ligne dont l'ancienne étoile montante du Parti radical zurichois n'a jamais dévié. Se présentant sur toutes les photos aux côtés de son époux, elle raconte aussi son indéfectible attachement à son Hans W. de mari et ses efforts pour remonter la pente alors qu'elle est mise à l'écart de toute vie sociale à Zurich. La femme meurtrie mais courageuse qui transparaît dans ces portraits n'a toutefois pas réussi à émouvoir.

Cette offensive médiatique s'est heurtée une fois de plus à l'incompréhension du public. Daniel Dunkel, rédacteur en chef de la Schweizer Familie, le magazine qui a publié en premier ses déclarations, constate: «La grande majorité des réactions que nous avons reçues étaient négatives. L'image d'une politicienne profiteuse est toujours là. Beaucoup de lecteurs et surtout de lectrices s'indignent par exemple qu'elle ait touché une rente. Cela m'a surpris. J'aurais cru que, presque vingt ans plus tard, on lui aurait pardonné.»

Le Blick, pour sa série de trois épisodes, n'a pas enregistré beaucoup de réactions. Mais la plupart sont négatives. Les lettres retiennent avant tout les manœuvres des époux Kopp pour éviter la vente aux enchères de leur maison à Zumikon (ZH), manœuvres dont le quotidien de boulevard s'était largement fait l'écho en son temps.

Le besoin de réhabilitation d'Elisabeth Kopp pourtant est énorme. L'été dernier, elle n'hésitait pas à se plaindre amèrement au quotidien local d'être mise à l'écart de la traditionnelle réception offerte par la Ville de Lucerne aux anciens conseillers fédéraux lors de l'ouverture du festival de musique classique. Après quelques hésitations, la Ville a fini par inviter à nouveau les époux maudits. On a aussi beaucoup vu Elisabeth Kopp cet automne lors de diverses cérémonies de célébration des cinquante ans du soulèvement en Hongrie, elle qui, jeune étudiante, s'était engagée pour l'accueil des réfugiés hongrois en Suisse.

Symbole du déclin des radicaux zurichois, la dame de Zumikon a longtemps été mise au ban de son propre parti. Ruedi Noser, président éphémère, avait voulu mettre en scène la réconciliation avec l'ancienne magistrate lors d'une assemblée des délégués en été 2003. Elisabeth Kopp aurait dû recevoir 14 roses rouges, une pour effacer chaque année d'exil intérieur. Mais, souffrant de dépression, elle s'était excusée au dernier moment.

Pour le Parti radical suisse, ce non-événement a tout de même marqué le retour à la normale dans ses relations avec sa première conseillère fédérale. «On la voit régulièrement, elle a une place comme les autres anciens, elle fait partie de l'histoire», déclare Guido Schommer, le secrétaire du parti suisse. Signe de cette normalisation, Elisabeth Kopp a ainsi défilé en décembre dans les rues d'Aarau aux côtés de Fulvio Pelli lors de la réception de la présidente du Conseil national Christine Egerszegi.

Constantin Seibt, ancien journaliste de la Wochenzeitung passé au Tages-Anzeiger, est fasciné par la destinée des époux Kopp, «la plus grande histoire d'amour de Suisse», selon le titre d'un de ses reportages. Pour lui, cette hargne envers l'ancienne conseillère fédérale est incompréhensible.

«En fait, il est grand temps de la réhabiliter. Ne serait-ce que pour sa vie mouvementée, cette ascension fulgurante et cette chute brutale. Avec l'amour indéfectible qu'elle porte à son mari, elle a l'étoffe d'une héroïne d'Hollywood. Mais les gens ne peuvent pas lui pardonner parce qu'elle n'a jamais montré le moindre signe de regret, c'est tellement peu suisse. Si elle avait reconnu qu'elle avait fait des erreurs et expliqué combien elle avait souffert, on l'aurait accueillie bien plus tôt. Au moins, elle est devenue de son vivant une figure nationale. Qui se souvient sinon des conseillers fédéraux en place il y a vingt ans?»

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