Parmi les candidats à la présidence française, Emmanuel Macron est sans nul doute celui dont beaucoup de traits correspondent à que le sociologue britannique d’origine polonaise Zygmunt Bauman a attribués à une société liquide: souci de transformations incessantes pour s’adapter aux changements permanents et mobilité ainsi que fluidité des choses et des êtres pour y répondre.

L’adéquation de ce candidat à la liquidité, qui domine notre temps, explique largement son attraction sur des électeurs auxquels il paraît moderne et son rejet par un nombre peut être égal d’autres. Modernité un peu écaillée par sa volonté de rétablir les chasses à courre présidentielles, supprimées en 2010, ou sa participation à la dévotion annuelle d’Orléans à sainte Jeanne d’Arc.

Le primat du changement

Le premier élément manifeste de la société liquide est le primat du changement pour le changement au détriment de l’affirmation d’une direction prise. Le groupe constitué pour soutenir ce candidat s’inscrit explicitement comme un mouvement. En Marche est un nom caractéristique d’une idéologie de mobilité, mais qui ne se présente pas comme une idéologie alternative (ce qui pourrait indiquer la recherche de buts donc de sens). Il est comme un… courant fédérant des adhésions individuelles et des financements venus de toutes parts. Il s’affiche ainsi sans enracinement partisan de droite ou de gauche. Il le légitime par le pragmatisme et une capacité à sélectionner sans préjugés ce qui paraîtrait meilleur parmi les idées qui… circulent.

Cet opportunisme a priori de bon aloi ferait en cas d’absence de majorité stable à l’Assemblée nationale que les ordonnances soient le principal mode de gouvernement… Avec inéluctablement un renforcement de la gestion des choses publiques par le haut, dominée par des experts conseillant un sorte de despote éclairé. Le poids des experts par rapport aux représentants de parties prenantes est aussi un caractère d’une société dissolvant le débat démocratique.

Absence de projet précis

Un autre des traits de la société liquide est que la célébrité y est fondée non sur le faire mais principalement sur une notoriété construite par les médias. Les Français seraient bien en peine de citer un ensemble de mesures fortes consécutives à l’éphémère action du ministre Emmanuel Macron. Fortement inspirée par les prescriptions de la commission Attali (2007-2008) dont il a été un rapporteur, la loi Macron a promu dans de multiples domaines la mobilité (dit autrement des logiques de concurrence).

Sa mesure phare est située dans le secteur des transports: une ouverture de lignes d’autocars venant concurrencer le ferroviaire. Cela a permis à court terme des déplacements pour quelques euros entre agglomérations. Mais ce modèle apparait à ce jour sans durabilité, ni économique, ni écologique. Il n’en est pas moins une image forte.

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Une autre caractéristique de la société liquide selon Bauman est l’absence de projet précis, si ce n’est de gouverner pragmatiquement. D’où la présentation très tardive par Emmanuel Macron de diverses mesures tenant lieu de programme. L’exercice lui apparaît sans doute de peu d’utilité pour une candidature qui se veut sans épine dorsale forte (si ce n’est le caractère du candidat) et sans véritable projection dans l’avenir. Il s’agit de créer les conditions favorables à l’adaptation aux changements des institutions et de la main d’œuvre.

Pour ce qui est de la main d’œuvre, encore une logique de liquéfaction. Sa formation permanente doit l’adapter aux deus ex machina des changements. Elle n’est pas pensée comme une partie prenante des entreprises. C’est un flux que les entrepreneurs prélèvent et rejettent, au même titre que l’énergie électrique, les logiciels ou les financements. Aussi les salariés doivent être de manière incessante formatée. Ce qui est critiquable ici n’est pas le souci d’une formation continue mais le fait que la main d’œuvre soit une variable d’ajustement. Les entreprises sont aussi constituées par le capital humain et leur succès n’est pas l’unique effet du génie de leurs dirigeants à répondre aux intérêts à court terme des actionnaires.

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Bien sûr, les liens d’Emmanuel Macron avec le monde de la finance sont tout aussi frappants pour la reconnaissance de son appartenance à la liquidité. On peut s’étonner qu’il affirme avec fierté sa carrière bancaire passée. En ne reconnaissant pas les vices fondamentaux de l’organisation économique actuelle, en particulier la nécessité de séparer fortement au sein du secteur financier les activités de service de paiement et transaction de celles de placements et de spéculation et les dangers de celle-ci, il partage le diagnostic commun selon lequel il suffirait de limiter certains excès de la finance.

Si l’on pense que la société liquide ne pourra qu’engendrer de nouvelles crises et renforcer la destruction de l’environnement du fait d’une rentabilité recherchée surtout à court terme, c’est peu nous préparer à affronter les risques de l’organisation liquide de la production, des échanges et de leur financement.

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