Pourquoi tant de disputes entre la droite et la gauche sur la réforme du cycle d’orientation (CO22) proposée par le Département de l’instruction publique (DIP) du canton de Genève? Le PLR a voté contre la réforme au Grand Conseil non pas parce qu’il ne faut pas corriger le système mais parce que la réforme telle que proposée actuellement crée de nouveaux problèmes. Si les tensions ont été singulièrement virulentes lors de la dernière session plénière, c’est que l’éducation révèle nos réflexes idéologiques. Elle conforte nos instincts en matière de société idéale. Pour rappel, le projet adopté au Grand Conseil vise à installer un système dit «mixte» – c’est-à-dire où les élèves de niveaux scolaires différents seraient regroupés au sein d’une même classe avec des programmes d’étude différenciés. Il devrait être contesté par un référendum déjà lancé par une coalition de droite formée du PLR, de l’UDC et des vert’libéraux.

La doctrine de gauche soutient la mixité parce que la salle de classe doit refléter, selon elle, la réalité de la société. Dans un univers utopiste, les «doués» soutiendront les «moins doués». La solidarité se nourrira à l’adolescence. La condition humaine s’améliorera dès le cycle! Ce monde idéal ne correspond pourtant pas au monde tel qu’il est. La mixité ne sert à rien si elle ne sert pas les intérêts de l’élève et du professeur. Ce projet idéologique prétend effacer les inégalités sociales. Elle ne fera en réalité qu’exposer les inégalités – révélées en classe devant des élèves dévalorisés qui ne peuvent pas suivre le niveau de leurs camarades.

Effacer les inégalités de naissance

Pour le PLR, l’affaire est aussi idéologique. L’éducation publique est un puissant outil pour effacer les inégalités de naissance. C’est l’un des domaines clés où l’Etat peut initier et encourager le volontarisme individuel. C’est d’ailleurs le radicalisme historique qui a bâti les fondations de l’école publique. Plutôt que de promouvoir une vision statique de l’égalité entre élèves, le concept dynamique de l’équité des chances est celui qu’il faut imposer. L’égalité, c’est la similitude; l’équité, c’est la justice. L’important est donc l’accès équitable à la disponibilité des professeurs pour tous les élèves. Que ceux qui excellent continuent à exceller. Que ceux qui ont des difficultés puissent se relever et être encouragés à trouver d’autres options, moins valorisées qu’actuellement, telles que l’apprentissage.

La mixité pourrait stigmatiser davantage les élèves qui rencontrent des difficultés

Dans une classe hétérogène, le professeur doit se débrouiller pour enseigner à chacun. Comment assurer un enseignement différencié dans une classe où il y a plusieurs niveaux? Comment gérer les attentes de chacun? Calibrer les rythmes de travail des élèves? Favoriser la concentration dans une telle cacophonie? Une société se mesure par son maillon faible. Or, un élève en difficulté ou en décrochage scolaire a besoin de plus d’accompagnement individuel, de pédagogie et d’investissements – pas moins. La mixité pourrait stigmatiser davantage les élèves qui rencontrent des difficultés. En se comparant en permanence avec leurs camarades, leur attention pourrait être perturbée. Et si un autre élève désirait avancer plus vite? Inévitablement les élèves rivaliseront entre eux pour solliciter le temps et l’attention de l’enseignant. Par ailleurs, selon la réforme, les bons élèves pourraient quitter le cycle après deux ans grâce à un programme accéléré. Cela serait la meilleure façon de créer une école publique à deux vitesses. En fin de compte, la gestion de la classe pourrait devenir le souci principal du professeur, au détriment de la qualité de l’enseignement.

La condition de la liberté de penser

La mixité sociale est l’une des clés du succès helvétique. Mais elle ne doit ni perturber la concentration de l’élève, ni la qualité de l’enseignement. On pourrait imaginer une mixité bien plus puissante, qui nourrit les échanges et les relations humaines. Par exemple avec la participation commune à des programmes de sports, à des cours artistiques ou d’instruction civique. Cela garantirait que tous les élèves puissent nouer des liens forts entre eux, qu’importent leurs compétences scolaires, origines socio-économiques ou culturelles. Ce serait plus audacieux, plus pragmatique, plus agréable, plus pédagogique, moins idéologique.

L’éducation, c’est la condition de la liberté de penser. C’est l’émancipation de la conscience individuelle. Valeur exigeante, elle est la source de toutes les autres libertés. C’est l’éducation qui permet à chacun de se dépasser, de s’étonner, de sortir de son statut prédéterminé, de renverser le fardeau pesant du fatalisme économique et social. C’est l’éducation qui nous permet de nous découvrir, de se surprendre, de mieux se connaître, de défier l’inertie que la société peut nous imposer. L’objectif ultime de l’école publique est de faire en sorte que l’élève progresse en permanence, pour devenir non pas meilleur que les autres, mais la meilleure version de lui-même.

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