Pour condamner une dramatique bavure policière aux Etats-Unis, des manifestants se sont levés en masse dans les villes américaines. Des manifestations ont également fleuri ailleurs dans le monde occidental, par solidarité bien sûr et surtout afin de dénoncer le racisme endémique qui y sévirait. La Suisse n’a pas été de reste bien que les faits avérés de discrimination y soient peu nombreux en regard d’une population noire généralement bien intégrée. Quelques réflexions à ce sujet.

Quand un manifestant brandit «L’esclavage est intolérable… stop!», on ne peut que l’approuver. Mais pourquoi arborer cette doléance à Genève où il n’existe pas, et où la police s’est permis, en 2008, d’arrêter nuitamment Hannibal Kadhafi, qui maltraitait ses domestiques, malgré le risque d’un bras de fer avec la Libye? Ce n’est donc pas au bout du lac qu’il faut dire stop à l’esclavage, mais dans les pays où il sévit encore et sur lesquels on ferme pudiquement les yeux, car il ne s’agit pas du monde suprémaciste blanc mais de la Mauritanie, du Pakistan ou de l’Inde, ainsi que des pays du Golfe.

Tous les Blancs ne sont pas racistes

Pourtant, les amalgames vont bon train, ceux-là mêmes que l’on dénonce lorsqu’il s’agit de préciser, à raison, que tous les musulmans ne sont pas djihadistes, ni tous les Noirs des dealers. Soit, mais tous les Blancs ne sont pas racistes non plus, ni les Suisses en particulier. En témoignent les lois dont le pays s’est doté, ainsi que les rues où les Noirs n’ont vraiment pas l’air terrorisés ni ostracisés. Seuls les malfaiteurs le sont peut-être, ce qui n’a rien à voir avec leur couleur de peau.

Faute de concret à se mettre sous la dent et pour donner corps à leurs accusations, les activistes ont donc remonté le temps afin de rendre les Suisses héritiers, coresponsables et complices de leurs aïeux, et par conséquent redevables de leurs actes. A Neuchâtel, c’est David de Pury qui est mis en cause pour s’être enrichi de l’esclavage. Rappelons qu’il a vécu entre 1709 et 1786. Là encore, le pragmatisme dicterait de s’occuper des drames actuels au lieu de s’en prendre à des personnalités du XVIIIe siècle, tant il y a du pain sur la planche pour que le monde s’améliore.

C’est pourquoi, les statues des grandes figures de la Suisse n’ont pas à être masquées, aspergées, déboulonnées, et la pétition pour ôter celle de la place Pury ne doit pas être entendue avec mansuétude par les autorités de Neuchâtel. Henry Dunant, premier Prix Nobel de la paix et dont l’œuvre est immense, n’a pas à être conspué en raison de sa participation à la colonie de Sétif en Algérie, soutenue par l’empereur Napoléon III, et qui n’avait rien d’inconvenant à l’époque.

Jeu mortifère

Il est trop facile de s’attaquer au passé avec nos yeux d’aujourd’hui et c’est plutôt avec le présent qu’il faudrait se coltiner pour montrer du courage et faire œuvre utile. En outre, condamner les anciens, c’est jouer à l’arroseur arrosé et personne n’en sortira indemne. En effet, les Blancs n’ont pas été les seuls esclavagistes, les Arabes et les marchands africains ne s’en étant pas privés. La traite des Blancs par les Barbaresques en témoigne, ainsi que les trafics d’êtres humains à Zanzibar, sans oublier la Chine et tant d’autres. Quant au colonialisme et à l’impérialisme, ce ne sont pas non plus des spécialités blanches. En revanche, c’est grâce aux principes chrétiens que l’esclavage a été aboli et les Américains ont même mené une guerre civile pour cela.

Chaque époque et chaque peuple ont eu leurs bons et mauvais côtés, mais les perceptions et les comportements changent, cela s’appelle le progrès. S’il faut aujourd’hui éradiquer toute œuvre, toute carrière, tout discours en raison de son racisme, son machisme, son homophobie, il n’en resterait plus aucune. Sans oublier le capital artistique mondial qui disparaîtrait à tout jamais. Gardons-nous donc d’entrer dans ce jeu mortifère, car si dénoncer les erreurs présentes, c’est faire avancer les choses, s’en prendre au passé, c’est se venger à bon compte. Entre l’action ou la haine, il faut choisir les outils de la lutte.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.