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Il était une fois. Les droits de l'homme

Il était une fois.

Les Etats-Unis s'opposent au «Conseil des droits humains» qui devrait remplacer à Genève la «Commission des droits de l'homme». Ils déplorent les concessions faites aux Etats abuseurs dans une réforme qui avait pour but de les exclure. Les négociateurs, dont les Suisses, estiment avoir été au maximum du possible. Les avantages du nouvel organe l'emportent selon eux sur ses imperfections.

L'intransigeance américaine est sans doute choquante dans un moment si peu flatteur moralement pour l'administration: Guantanamo, Abou Ghraib, surveillance policière illégale, torture clandestine... Elle correspond cependant à la culture des élites qui ont pensé le monde de l'après-guerre, quand se discutait la refonte de la Société des Nations dans l'Organisation des Nations unies.

Le terme «droit de l'homme» n'est pas venu tout seul dans le préambule de la Charte de l'ONU négocié à la conférence de San Francisco de 1945. Les délégations ministérielles ne l'auraient pas introduit sans les pressions exercées par les ancêtres des ONG actuelles, en particulier la quarantaine de «consultants» civils autorisés à participer aux discussions dans la forte délégation américaine. Ils représentaient des associations de femmes, d'enseignants, des organisations juives, des syndicats, des clubs. Ils voulaient se donner les moyens d'empêcher que se reproduisent les conditions de misère culturelle et sociale qui avaient permis à Hitler de parvenir au pouvoir en Allemagne, ou qui jetaient des sociétés abandonnées dans les bras des communistes. L'éducation, et l'apprentissage des droits de l'homme, pensaient-ils, conduiraient à la pacification du monde.

Parmi ces consultants civils, une femme, une seule, Virginia Gildersleeve. Elle avait été la première à diriger un collège. Elle avait consacré sa vie à l'avancement des filles. Ce qu'elle voulait maintenant, avec la même énergie qu'elle avait mise à ouvrir les universités aux femmes, c'était faire inscrire dans la charte de l'ONU le droit à l'éducation et le droit à être respecté en tant que personne humaine.

Ces droits ne figuraient pas clairement dans le projet de charte issu des pourparlers de Dumbarton Oaks en août 1944. Pendant la guerre, des activistes avaient bien revendiqué une Convention internationale des droits de l'homme pour affirmer et protéger les quatre libertés formulées par Roosevelt dans son discours fameux de 1941: liberté d'expression, liberté religieuse, liberté de vivre hors du besoin et liberté de vivre sans la peur.

Mais en 1944, le président américain cherchait surtout à ne pas fragiliser l'alliance anti-hitlérienne avec l'Union soviétique et il n'avait pas voulu froisser Staline avec de telles idées.

Son successeur était dans le même état d'esprit lorsque la conférence de San Francisco s'ouvrit, le 25 avril 1945. Virginia Gildersleeve et les autres consultants avaient jusqu'au 4 mai pour amender le projet de charte. Ils s'activèrent. Pétitions. Manifestations. Réunions. Le 2 mai, ils obtinrent un rendez-vous avec Edward Stettinius, le secrétaire d'Etat. Et ils le convainquirent. Celui-ci, à son tour, convainquit les puissances alliées. Le 26 juin, les cinquante Etats présents à San Francisco signaient une charte qui contenait sept références claires aux droits de l'homme. C'était la première fois dans l'histoire diplomatique que des Etats acceptaient de déléguer la promotion des droits de l'homme - affaire jusqu'ici domestique - à une organisation internationale. L'article 68 permit au Conseil économique et social de créer une «Commission des droits de l'homme» qui fut chargée en 1946 d'élaborer les instruments juridiques nécessaires à son activité: la Déclaration universelle des droits de l'homme, promulguée en décembre 1948.

Elle fut tout de suite critiquée. Ce n'était qu'une «déclaration» et non pas une obligation contraignante. Il aurait fallu un «traité». Mais Eléonore Roosevelt, qui avait dirigé les travaux, croyait en la force d'inspiration d'une telle déclaration dans la société civile. C'est par le bas, pensait-elle, qu'une société progresse.

Le débat n'est pas très différent aujourd'hui. L'administration américaine emploie des arguments d'autorité. Micheline Calmy-Rey des arguments de persuasion.