Publicité

Il était une fois. La semaine de 30 heures aux Etats-Unis

Le démantèlement de la loi sur les 35 heures en France est l'occasion de

Le démantèlement de la loi sur les 35 heures en France est l'occasion de commentaires sur les spécificités françaises, montrées du doigt comme utopiques, archaïques ou stupides. Le regard que chaque nation porte sur le travail, le sien et celui de ses voisins, est toujours lourd de préjugés plus ou moins plaisants. Le Financial Times écrivait récemment que les pays d'Europe auraient «pris goût» aux vacances, tandis que les Américains travailleraient «dur», la différence expliquant la stagnation des uns et la croissance des autres. C'est pourtant aux Etats-Unis qu'a été proposée pour la première fois une loi sur la semaine de 30 heures. Le Sénat l'avait largement approuvée. Elle n'est pas arrivée jusqu'à la Chambre des représentants. Cet épisode de l'histoire américaine des années 30 contient déjà toutes les données des problèmes du travail et du chômage qu'on continue de débattre.

En 1912, il faut 4664 heures/homme pour construire une voiture aux Etats-Unis. En 1925, il n'en faut plus que 813. Le machinisme modifie de fond en comble l'organisation du travail, la productivité progresse à une vitesse foudroyante. Entre 1919 et 1929, 2,5 millions d'emplois disparaissent. D'octobre 1929 à juin 1932, le nombre de chômeurs passe de 1 à 10 millions. Insolvables, ceux-ci s'absentent de la toute nouvelle consommation de masse, fondée sur le caractère présumé «insatiable» des désirs. L'économiste anglais John Maynard Keynes explique que les gains en temps de travail dans la production ont surpassé les capacités de trouver de nouveaux gisements d'emplois. Il s'agit, dit-il, d'un «chômage technologique».

Les syndicats de travailleurs ont commencé depuis une décennie à demander une semaine de travail plus courte, arguant du fait que les salariés ont le droit de bénéficier eux aussi des gains de productivité. Le «partage du travail» est d'abord vu comme un principe de justice et de progrès social, le loisir participant à la richesse de la vie et à «la civilisation tout entière», comme l'affirme l'American Federation of Labor (AFL).

Mais en 1932, ce partage est devenu une question de survie. Le 20 juillet, lors de sa convention de Atlantic City, l'AFL demande au président républicain Herbert Hoover de légiférer en vue d'une semaine de trente heures afin de «créer des possibilités d'embauche pour des millions d'hommes et de femmes inactifs». Des chefs d'entreprises soutiennent cette revendication, dont ils espèrent un effet sur leurs ventes. D'autres réduisent spontanément les horaires dans leurs usines, pour garder leurs employés.

W.K. Kellogg's, le fondateur de la marque du même nom, s'enthousiasme: «Si nous passons à quatre postes de six heures au lieu de trois de huit, trois cents chefs de famille supplémentaires auront un emploi et un salaire.» L'entrepreneur, qui compense en outre le temps non travaillé par des hausses de salaire, promeut une philosophie globale des loisirs et de la santé.

En 1932, la moitié des industries américaines ont déjà réduit les horaires pour sauver l'emploi et maintenir la consommation. En décembre, alors que le président Hoover vient d'être battu, pour incompétence économique notamment, le sénateur de l'Alabama, Hugo Black, propose une loi sur la semaine de 30 heures, dont il estime le bénéfice à 6,5 millions de réembauches. Le 6 avril 1933, à peine un mois après l'inauguration du démocrate F.D. Roosevelt à la Maison-Blanche, le Sénat vote le texte par 55 voix contre 30. La loi, qui a l'aval du nouveau président, est acceptée par la commission de l'emploi de la Chambre des représentants, où elle est défendue par William Connery, du Massachusetts. La voie est ouverte pour un vote facile à la Chambre lorsque Roosevelt s'avise d'une très forte opposition, emmenée par Wall Street, qui dénonce les risques d'une «dictature étatique». Il recule. D'ailleurs la loi, comme celle des 35 heures en France, est considérée comme compliquée et mal faite.

Roosevelt choisit l'autre solution, keynésienne, toujours en balance quand ces situations se représentent: il fournit aux chômeurs des emplois d'Etat, dans le cadre du New Deal. La réussite est partielle: de 24,9% en 1933, le chômage baisse à 15% en 1940. La guerre et l'effort militaire font le reste. Mais depuis, l'emploi américain biberonne au budget du Pentagone. Les spécialistes font grand cas du regret exprimé plus tard par Roosevelt d'avoir renoncé à la loi Black-Connery.