Nous défendons une «citoyenneté», droit de participer à la vie politique, étendue à tous les résidents durables, indépendamment de la «nationalité», dans la limite des compétences cantonales.

La résidence durable est le facteur premier de l’ancrage dans la vie sociale. La participation de «citoyens» aux décisions qui les concernent définit la démocratie depuis que la notion existe. Ce droit humain, reconnu pour son pays depuis 1948, a été étendu au niveau local de résidence par une convention du conseil de l’Europe.

La situation en Suisse

En Suisse, malgré un taux inhabituellement élevé de résidents étrangers, 5 cantons romands ont introduit au moins le vote étranger dans leurs communes. Et trois cantons suisses alémaniques (Appenzell RI, Grisons, Bâle-Ville) y autorisent facultativement leurs communes, dont seule une faible fraction y a procédé. Cet état fédéral, linguistiquement et religieusement pluriel, dont l’exemplaire registre d’autonomie cantonale a su dépasser les déchirures, bute devant ce déni de démocratie.

Alléger les obstacles à la naturalisation n’est pas la panacée vantée. Elle délaisse qui ne se résout pas à une démarche lourde de conséquences et préalables, et ne protège pas du poison nationaliste jetant la suspicion sur des générations successives de naturalisés.

Il s’ensuit que seule la limitation au contexte cantonal, permet d’élargir la démocratie à des non-nationaux sans bousculer l’architecture fédéraliste, ni requérir l’adhésion du pays entier.

Le récent scrutin illustre la minceur du droit de vote accordé à Genève aux résidents étrangers depuis 2005. Sur 13 objets, 40% de la population ne put s’exprimer que sur un seul.

Les cantons en avance

Valais excepté, 4 des 5 voisins romands, en avance d’au moins une décennie, pratiquent, avec des variantes l’éligibilité municipale que le peuple depuis 2005 refuse aux Genevois. JU dès 1979, NE depuis 2000, accordent aux étrangers le droit de vote cantonal que VD a échoué à introduire en 2011.

Mal quantifiables, les apports sont indéniables. Tout nouvel électeur renforce la légitimité des institutions. Des communes peinant à recruter sont vivifiées par l’apport en élus (cf. Avenir Suisse). En dépit de discriminations persistantes, une centaine d’étrangers ont accédé à l’élection, et ce droit passe dans les mœurs sans les conflits brandis par les nationalistes.

L’exiguïté territoriale, l’arrière-pays frontalier de Genève, son statut international devraient porter le canton à un rôle de pionnier. Comment expliquer qu’il s’y refuse?

Beaucoup tient à un contexte politique où des élites de droite se gardent de chatouiller un arc populiste qui les défie. Surfer, comme pour les saisonniers d’antan, sur des haines recuites à l’égard des frontaliers, polarise une opinion inquiète de facilités offertes à des catégories «privilégiées». L’alliance de libéraux soucieux de donner des gages de patriotisme et de rigorisme à Berne avec ces héritiers de feue Vigilance tend à bloquer les velléités de la gauche, du centre et de francs-tireurs, d’élargir à l’éligibilité l’assise démocratique. Paradoxalement, ils reçoivent le renfort d’une part de la gauche qui confond interculturalité et communautarisme et ne jure que par la naturalisation.

Les priorités à la nationalité

Enfin, l’hétérogénéité de groupements étrangers tournés en partie vers l’international rejoint dans l’indifférence le dédain militant pour le parlementarisme.

La priorité va à lever la confusion entre la citoyenneté, qui peut être échelonnée, et la nationalité, qui n’admet pas de degrés. Participer est un droit individuel dérivant de celui de séjour durable. La nationalité passe par une démarche subséquente, tributaire de preuves et d’une décision de l’autorité. Elle devient transmissible, irrévocable, souvent exclusive, et comptable de devoirs. Il faut casser la funeste alliance de partisans sincères de la naturalisation facilitée avec ceux d’une souche helvétique fantasmée que toute dilution révulse.

La compatibilité confédérale avec le vote et l’éligibilité des résidents étrangers dans les cantons est déjà actée dans le cadre de leur autonomie, et personne ne parle de revenir en arrière. Privilégier en intégriste la naturalisation à Berne, où les vents sont contraires, qualifier de «citoyenneté au rabais» tout échelon intermédiaire, est inconséquent et prive le canton d’une importante contribution civique.

Des circonstances confortent cette hostilité de principe. L’actualité mondiale du refoulement des immigrés imposerait d’attendre vents plus favorables. Peu glorieux, c’est confondre les établis de longue date avec des primo-arrivants. Le taux d’abstention des étrangers est invoqué à charge pour conclure à leur désintérêt de la chose publique par de faux amis qui oublient les facteurs de cette relative désaffection, manque de pratique de cet électorat face à des enjeux obscurs à bien des compatriotes, ou ses particularités en âge, sexe ou traditions politiques.

Puisse cet incomplet tour d’horizon convaincre que le rôle international de Genève et sa proportion légendaire en résidents étrangers méritent mieux que l’actuel ronronnement à l’arrière-train des cantons romands.


Dario CIPRUT, cofondateur de DPGE, Droits politiques pour les résident-e-s à Genève (www.dpge.ch)

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