«Comment auraient-ils pensé à la peste, qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions?» La découverte des premiers cas de Covid-19 en Suisse fatalement nous fait relire La Peste de Camus. Voilà que les politiques et les stratégies de lutte à l’échelle nationale se révèlent bien impuissantes à limiter la propagation rapide d’une épidémie. Et à endiguer nos peurs. Face aux répercussions de la crise sanitaire sur l’économie et l’ordre dans le monde, la santé est un enjeu essentiel de la gouvernance mondiale.

Le rôle de l’OMS

Le multilatéralisme est la seule réponse. Même si les courants nationalistes, en Suisse ou en France, profitent des angoisses et des réactions irrationnelles pour en appeler à la «démondialisation» ou à la fermeture des frontières. Ils utilisent à leur profit les peurs ancestrales qui, en Europe, nous ramènent à la grande peste noire du XIVe siècle, aux épidémies de peste et de choléra du milieu du XIXe siècle, à la grippe espagnole ou, plus récemment, au VIH et la grippe asiatique. Pourtant, malgré l’intensification de la mobilité, la proportion de victimes des grandes épidémies est sans comparaison. C’est le résultat des efforts de coordination entre les nations et de la mise en place de règles internationales.

En 2007, quatre ans après l’apparition du SRAS en Chine, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) désignait le risque de pandémie d’une nouvelle grippe comme «la plus redoutée des menaces pour la sécurité». On aurait dû s’attendre à ce que l’OMS soit renforcée par cette prise de conscience. Certes, la plupart des Etats membres ont adopté le nouveau Règlement sanitaire international (RIS) qui leur fait obligation de mettre sur pied des systèmes de détection et d’alerte précoce. Mais la volonté des membres a fait défaut pour réaliser le grand objectif de l’OMS: «la santé pour tous en l’an 2000». Malgré un remarquable travail sur le terrain. Les restrictions budgétaires, les suppressions de postes, la part déterminante dans les programmes laissée aux puissants donateurs, dont les intérêts sont commerciaux, ont réduit le pouvoir de l’OMS, mais surtout son indépendance, dénoncent spécialistes et ONG. Ce qui a incité le Corriere della Sera à qualifier l’OMS de «tigre de papier». Selon le quotidien milanais, «pour combattre le coronavirus, elle a dû commencer à collecter des fonds… Mais ce sont surtout les compétences de l’organisation qui sont insuffisantes: elle peut donner des directives techniques, conseiller, surveiller, informer la presse, faire de l’information, certifier la qualité des médicaments, donner l’alerte… Mais quand il s’agit de jouer le rôle d’une véritable police sanitaire, ses moyens d’action sont limités.»

Croissance économique et santé

Ce que reconnaît implicitement la Suisse dans son programme de politique extérieure en matière de santé: «Il faut une OMS plus forte qui encourage la collaboration entre les Etats membres pour, d’une part, consolider les systèmes nationaux et internationaux de détection précoce, de prévention et de lutte, et d’autre part, pour éviter les réactions excessives causant des dommages économiques inutiles.» Croissance économique et santé mondiales sont plus que jamais indissociables. «Dans un monde caractérisé par une interdépendance radicale et croissante, toutes les menaces sont transfrontières», avertissait en 2015, Margaret Chan, alors directrice de l’OMS. On ne se sauve jamais seul.


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