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Faim dans le monde: les bonnes et les mauvaises nouvelles

Corriger les défauts de la Révolution verte en Asie du sud, déclencher de gros programme au sud du Sahara: les grands défis de demain réclament des diagnostics pertinents en amont. Pour que la lutte contre la faim devienne plus efficace

Sur nos sept milliards d’habitants, environ un milliard souffrent, ou souffriraient, de la faim. L’Afrique au sud du Sahara et l’Asie du Sud (surtout l’Inde) sont, et de loin, les zones les plus touchées, quoique dans des conditions très différentes. Elles abritent encore de larges majorités rurales. Or celles-ci sont plus vulnérables que les villes.

Des efforts massifs étaient évidents, depuis 50 à 60 ans, pour développer l’agriculture et les infrastructures rurales. Comme le reste de l’Asie, l’Inde a bénéficié, dans les années 1965-1970, de la Révolution verte: l’emploi de céréales réagissant mieux aux engrais chimiques que les variétés traditionnelles, provenant à l’origine des instituts Ford et Rockefeller. Au résultat, de fortes hausses de la production agricole, la constitution de stocks publics en prévision des mauvaises moussons et pour des secours aux indigents. Les importations de grain baissent ou disparaissent, notamment en Inde. Pour la première fois, l’Asie n’est plus menacée de famine.

Or, depuis les années 80, les efforts dans l’économie rurale se relâchent, la croissance agricole ralentit. La misère et la faim ont beau avoir diminué, les sous-alimentés en Inde pourraient s’élever à 16% sur 1,2 milliard dans un pays aux forts progrès de l’industrie et des services.

Au sud du Sahara, depuis 1960, la courbe de la population (+2 à 3% par an) dépasse celle de la production vivrière. Les importations de grain ne cessent de croître.

En 1962 déjà, l’agronome René Dumont dressait, dans son «Afrique noire est mal partie» (Le Seuil), l’inventaire des tâches à entreprendre. Or elles ne furent guère suivies, à cause des carences des élites dirigeantes, des conflits et des faiblesses de l’aide internationale, pourtant beaucoup plus importante qu’en Asie. En conséquence, la famine frappe encore aujourd’hui et l’on compterait 300 millions de sous-alimentés sur 850 millions.

Relancer l’agriculture et les infrastructures agricoles en Asie du Sud, déclencher de gros programmes au sud du Sahara n’ont rien d’impossible, moyennant de bons diagnostics. En Inde comme ailleurs en Asie, d’importants leaders politiques évoquent une «seconde R.V.». Ils ignorent ou oublient que la Révolution verte était relativement aisée: quand elle fut lancée, elle touchait des régions déjà avancées, irriguées, avec débuts de routes et d’électricité. Les paysans ont reçu des variétés de semences de blé ou de riz, grâce à la collaboration efficace des Fondations Ford et Rockefeller et l’engagement décisif des élites dirigeantes. Après quelques années, les rendements ont doublé puis triplé, passant à 3000 – 4000 kg/ha de riz décortiqué ou de blé en Inde.

Toutefois, la Révolution verte ne concerne pas les vastes régions de l’Inde et d’ailleurs en Asie qui ne dépendent que de pluies faibles ou incertaines. Là, les progrès possibles de rendements se bornent à 10-30% par ha.

Aujourd’hui, il s’agit de corriger les défauts de la R.V. dans l’usage des intrants, renforcer recherche et services agricoles, revoir le marketing. 30% des fruits et légumes sont perdus après récolte. Canaux de distribution et chambres froides ont besoin de gros investissements. Quant aux infrastructures rurales, elles se sont fort dégradées. Bref, cette nouvelle phase s’annonce beaucoup plus complexe, coûteuse et longue.

Au sud du Sahara, des experts comme Jeffrey Sachs ou la Fondation Bill Gates prédisent une «Révolution verte». Or seuls 4 à 5% des terres y sont irriguées, contre 30 à 70% en Asie en 1965-70. Les techniques itinérantes sur brûlis et à la houe sont beaucoup moins productives qu’en Asie. La recherche, les services agricoles, les routes sont très en retard et l’aide extérieure souvent médiocre.

Pourtant, à long terme, de larges possibilités existent: irrigation, nouvelles terres, recherche, services agricoles. De longue date, le paysan africain a été capable d’innover: progrès du coton, du café et du cacao, du maïs hybride. L’engagement des élites locales et une assistance beaucoup plus efficace sont requis.

Restent les polémiques. Que les spéculations des multinationales du grain lors de la crise de 2007 aient joué un rôle n’explique pas tout. Notons la suspension des exportations de céréales du Vietnam, de l’Inde, de l’Ukraine.

Autre sujet, les achats ou locations de terres au sud du Sahara par des pays arabes, l’Inde, la Chine. Comme le relève Ph. Hugon, excellent spécialiste de l’Afrique: «Le phénomène ne touche qu’une petite partie des terres cultivables.» («Tiers Monde», no. 208, 2011). Il peut se révéler profitable pour les pays d’accueil si les contrats équilibrent les intérêts des paysans et ceux des étrangers. Là aussi, corruption et autres abus existent, au détriment des paysans et des intérêts locaux.

Relevons aussi l’écart croissant entre élites dirigeantes, très souvent urbaines, et le monde rural, ainsi que la forte baisse du nombre d’experts agricoles, étrangers et même locaux.

Tous ces facteurs expliquent pourquoi la part de l’agriculture dans l’aide publique au développement a chuté de 18% en 1979 (8 milliards de dollars) à 3,5% en 2004 (3,4 milliards).