Opinion
Au-delà des belles déclarations de principe, l’intégration des réfugiés au marché du travail est un objectif difficile à atteindre mais nécessaire, note Roger Piccand, ancien chef du Service de l’emploi du canton de Vaud

Il n’est pas courant que Parti socialiste et Avenir suisse soient sur la même longueur d’onde. Et pourtant, le premier vient d’affirmer que «les réfugiés doivent être intégrés» et le deuxième – par la voix de son directeur – que «les réfugiés doivent être intégrés». Et au pays des Helvètes, l’intégration passe par le marché du travail, c’est-à-dire par un emploi.
Nul doute que cette volonté intégrative est logique, pertinente et largement partagée. Mais reste un hic: intégrer les réfugiés déjà en Suisse de même que les nouveaux arrivants risque fort d’être une tâche ardue.
Pour des raisons économiques tout d’abord. Franc fort, concurrence étrangère accrue, difficultés du commerce de détail, achats transfrontaliers ou sur internet, automatisation, rationalisation, robotisation et économie mondiale à la peine ne laissent pas entrevoir une forte progression de l’emploi en Suisse. De plus, les places de travail nouvellement créées vont pour la plupart requérir des compétences pointues, dont peu de réfugiés pourront se prévaloir.
Une vérité politiquement peu correcte à dire
Même s’il est politiquement peu correct de le dire, les étrangers de culture différente, parlant une autre langue, parfois d’une autre religion et d’une autre couleur de peau, ont toujours éprouvé de grandes difficultés à trouver un emploi. Les statistiques du chômage (le taux de chômage des étrangers est plus du double de celui des Suisses) l’attestent.
Les raisons de cette difficile intégration sur le marché du travail sont multiples: de nombreux réfugiés manquent de qualifications professionnelles ou ont des compétences non reconnues ou difficilement valorisables en terre helvétique. Leurs habitudes de vie différentes – si légitimes soient-elles – peuvent être source de conflits ou d’incompréhension. Une prise en charge sociale financièrement généreuse décourage parfois un requérant non qualifié à travailler pour le salaire peu élevé qui lui sera fatalement proposé. Mais surtout, ainsi que de nombreuses études le démontrent, les étrangers sont victimes de discrimination à l’embauche: les employeurs préfèrent engager Philippe, Pierre-Yves, voir John ou Hans, plutôt que prendre le risque de recruter Omar ou Abdelkader.
Le business de l’intégration saturé
Cerise sur le gâteau, le business de l’intégration est saturé. De nombreuses entités publiques ou parapubliques croulent déjà sous des mandats d’intégration. Elles doivent trouver des emplois pour les chômeurs, pour les bénéficiaires de l’aide sociale, pour certains assurés de l’assurance-invalidité, pour les femmes souhaitant reprendre une activité lucrative après avoir élevé leurs enfants, pour les jeunes cherchant une place d’apprentissage, les jeunes en difficulté ou en rupture, les universitaires et les nouveaux titulaires d’un CFC à la recherche de leur premier job ou pour les détenus arrivant en fin de peine. L’intégration des réfugiés – aussi pertinente soit-elle – vient allonger et complexifier cette longue liste et s’exerce par conséquent dans un univers hautement concurrentiel.
Dans un tel contexte, scander «les réfugiés doivent être intégrés» ne sera pas suffisant. Créer de nouvelles structures administratives pour s’en charger (comme les politiciens savent si bien le faire, en ayant ainsi le sentiment d’avoir accompli leur mission) ne sera pas la panacée. Les bons sentiments et la gentillesse ne suffiront pas. D’autres conditions devront être remplies.
Les nouveaux réfugiés devront faire l’effort d’apprendre notre langue, de comprendre nos structures mentales, nos comportements et les principes guidant le fonctionnement de notre marché du travail. Ce nécessaire apprentissage sera chronophage. Il va nécessiter aide et moyens financiers de la part des pouvoirs publics, c’est-à-dire des efforts de la part des citoyens qui paient des impôts.
Mieux vaut donner une canne à pêche qu’un poisson
L’aide financière accordée aux réfugiés devra être décente, mais suffisamment basse pour les inciter à chercher et trouver rapidement un emploi lucratif, même si celui-ci offre un faible salaire. Il sera toujours plus judicieux de verser un complément financier à une personne ayant fait l’effort de trouver un emploi que de prendre intégralement en charge une personne se reposant sur un système purement assistantiel. Comme toujours, pour aider, mieux vaut donner une canne à pêche qu’un poisson.
La coopération active des entreprises et des employeurs est une condition sine qua non de la réussite d’une telle opération. Certains employeurs – une minorité – vont se sentir concernés. Les autres – la grande majorité – collaboreront à la condition de pouvoir y trouver leur compte. Les employeurs faisant l’effort d’engager un réfugié nouvellement arrivé en Suisse devraient se voir créditer une aide financière, soit sous forme d’une déduction fiscale additionnelle, soit sous forme d’une subvention.
La lutte contre le travail au noir doit se poursuivre sans répit
Mais l’intégration des réfugiés ne pourra être un succès que si la population à l’intime conviction que cette politique est bien gérée et respecte des principes élémentaires de justice. Ceci implique notamment deux éléments. Premièrement, les demandes d’asile doivent être traitées rapidement. Les réponses positives doivent immédiatement générer un processus d’intégration. Les réponses négatives doivent être suivies d’actes concrets, à savoir un départ du territoire suisse dans tous les cas où ceci est possible.
Deuxièmement, la lutte contre le travail au noir et les travailleurs clandestins, déjà bien engagée, doit se poursuivre sans répit. Les clandestins et leurs employeurs doivent être identifiés. Les premiers expulsés. Les seconds durement sanctionnés.
De telles actions ne reviennent qu’à respecter le droit en vigueur. Elles seules sont de nature à démontrer que le pouvoir politique accueille les gens qui doivent l’être et sanctionnent les tricheurs et les profiteurs potentiels. Une telle attitude pourra seule prouver par a + b que les politiciens et les administrations savent faire une distinction entre humanisme et angélisme. C’est tout simplement ainsi qu’une stratégie et une politique d’intégration peuvent devenir crédibles, compréhensibles, légitimes et efficaces.
Roger Piccand est ancien chef du Service de l’emploi du canton de Vaud
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