Faut-il reprendre un enfant qui commence à écrire lorsqu’il commet des fautes d’orthographe, au risque d’ôter son côté ludique et créatif à l’écriture? Ou faut-il le laisser batifoler dans une écriture quasi phonétique, au risque cette fois d’ancrer de mauvais comportements qu’il sera difficile d’éradiquer ensuite? Devant une accumulation de plaintes dénonçant un niveau parfois «effrayant», le directeur de l’Instruction publique du demi-canton de Nidwald, Res Schmid, vient de trancher, «premier à capituler devant des parents indignés», titre la Neue Zürcher Zeitung (NZZ).

Alors que pour les cantons alémaniques le «Lehrplan21» prévoit que ce n’est qu’à partir de la 3e primaire que les enseignants insistent sur l’exactitude des mots, il vient de décider que dans son canton, cela commencerait dès la 2e: selon lui, il est difficile de corriger des erreurs qui ont été faites pendant deux ans. «Cela ne favorise pas l’orthographe quand on s’y met trop tard.»

2+2 = 5?

Les enseignants pourront donc désormais signaler l’orthographe correcte aux enfants de 2e primaire, et les parents aussi – on le leur déconseillait fortement auparavant. Le responsable UDC, qui se sent l’âme d’un «pionnier», n’aurait eu que des retours très positifs de la part des familles, des entrepreneurs. Ses homologues de la Conférence des directeurs de l’instruction publique observent la situation, et Res Schmid pense «que d’autres cantons vont suivre». «Comme si l’on attendait d’un enfant qui apprend à parler de parler tout de suite sans faute», critique une linguiste, toujours dans la NZZ. «Comme si l’on acceptait temporairement que 2+2 font 5», répond un spécialiste de l’éducation. Sur les réseaux, en tout cas, la discussion fait rage.

«Un politique devrait laisser les pédagogues et les experts décider», estime un étudiant futur prof sur la page Facebook de la NZZ, prise d’assaut lundi. Une opinion très minoritaire devant un déluge de commentaires en faveur de la réforme. «A croire que ces experts n’ont jamais eu d’enfants», s’étrangle un lecteur. «Heureusement que les miens y ont échappé», se réjouit une mère. «A Zoug, c’est jusqu’en 4e primaire, sauf en cours d’orthographe», se désole un père. «Et la mémoire photographique?» se demande un autre. «Et nous, les vieux, qui avons toujours dû bien écrire, comment on a fait alors pour être motivés?» se moque une lectrice. «C’est dès le premier jour que devrait intervenir la bonne écriture», grondent de nombreux internautes. «Les enfants sont naturellement curieux et veulent naturellement bien faire.»

Dans le «pack Migrations»

La politique n’est jamais bien loin. «Cette écriture phonétique désavantage à terme les enfants de migrants, écrit un lecteur allemand toujours sur Facebook, car ensuite, ils n’ont pas la même aide que les autres à la maison.» «Cela fait partie du «pack Migrations», s’énerve un autre, ils sont incapables d’apprendre l’allemand.» Hum. «Je ne savais pas que les Suisses en étaient arrivés là, je croyais qu’il n’y avait que les Allemands», ironise un autre internaute.

Beaucoup de réactions émanent en effet d’Allemagne, car si laisser les enfants pendant deux ans errer librement dans la langue de Günter Grass est l’idée d’un pédagogue bâlois il y a une trentaine d’années, Jürgen Reichen, sa méthode est aussi très suivie en Allemagne aujourd’hui, explique encore la NZZ. Or, cet automne, une étude de l’Université de Bonn a montré qu’avec elle, les enfants en fin de classe de 3e étaient moins bons qu’avec la méthode syllabique traditionnelle… Hambourg et le Bade-Wurtemberg se sont déjà dissociés de «l’écriture à l’oreille», et un troisième Land devrait suivre à la rentrée 2019.

Très subjectivement, le mot de la fin à une lectrice de la NZZ: «Ecrire phonétiquement, euh, ça se fait aussi beaucoup sur les réseaux sociaux, et souvent c’est plus difficile à comprendre que si c’était bien écrit»…

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.