«La prédiction est compliquée, surtout quand elle concerne l’avenir.» La formule est connue, mais elle s’applique encore plus à notre époque de transformation perpétuelle. Quand vous dirigez une entreprise, votre équipe ou vos supérieurs (qui n’en a pas?) vous demandent toujours: «Où allons-nous?» comme si vous le saviez parfaitement. Premier constat, et quelle que soit votre activité: le phénomène n’est pas nouveau, même s’il interroge.

En effet, un leader doit-il s’imposer par sa capacité à avoir réponse à tout ou plutôt saisir le sens général de son action et tâtonner jusqu’à trouver ce qui marche? Je me souviens d’une interview de Federico Fellini dans laquelle il expliquait son désarroi face à une équipe de tournage lui demandant constamment: «Où met-on la caméra? Plus ou moins de lumière?», etc. Sans compter les caprices des acteurs. Le cinéaste italien pouvait paraître indécis, mais il figure bel et bien aujourd’hui au panthéon du cinéma.

Dans une entreprise, c’est pire. D’ailleurs, de très grands noms se sont révélés de bien piètres prévisionnistes, comme le rappelait Jacques Savoy, de l’Uni de Neuchâtel, dans un stimulant séminaire sur les fake news organisé cette semaine à Genève. Même Steve Jobs, gourou des gourous, s’est parfois fourvoyé. «Le modèle d’affaires de l’abonnement pour la musique est fini», avait-il lancé de manière péremptoire en 2003. Spotify en rit encore. Et en 2018, faut-il miser sur l’intelligence artificielle, la blockchain ou l’extraction de l’aluminium? Apple a depuis résolu l’équation en devenant tellement riche qu’elle peut investir dans tous ces secteurs.

Une CEO, nommée pour restructurer une société en profondeur, m’avait confié un jour sa frustration. Elle ne proposait que des plans d’économies qui avaient le don de fatiguer son entourage. Même son conseil d’administration, qui avait adoré le dirigeant qui l’avait précédée. Ce dernier envisageait toujours l’avenir avec confiance. Il aimait planter sur la mappemonde de l’entreprise des petits drapeaux rouges sur chaque pays ouvert. A la fin, ce CEO imprudent avait fait perdre des dizaines de millions à la société et il fut licencié brutalement. Mais ses interlocuteurs avaient pris goût au story telling du succès, même si celui-ci n’avait pas été au rendez-vous.

Alors, faut-il mentir à son patron et lui dessiner un avenir radieux même lorsque les nuages pointent? Bill Gates a déclaré en 2004 que nous en aurions tous fini avec les spams d’ici à deux ans. Personne ne sait si le patron de Microsoft arrangeait la vérité pour calmer ses actionnaires ou s’il avait une vision clairement trop naïve du futur. Mais comme ni vous, ni Steve Jobs, ni Bill Gates ne pouvez prédire ce qui va venir, autant tâtonner, non?

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.