Vous avez aimé Janet Yellen? Vous aimerez sans doute Jay Powell. Pour ceux qui ne sont pas au courant, et qui n’ont aucune raison de l’être d’ailleurs, je parle de celle qui a présidé la Réserve fédérale et de celui qui va lui succéder. A la tête de la banque centrale des Etats-Unis, qui crée la monnaie au cœur du monde de la finance, ce sont des bureaucrates, au sens technique et sans le moindre sous-entendu péjoratif, qui ont une influence majeure sur la situation économique de presque tous les pays. Leurs décisions affectent le coût du crédit, les taux de change et la conjoncture économique dans le monde entier et, de temps à autre, ils sont sur le pont pour faire face à des crises financières. Autrement dit, d’une manière ou d’une autre, vous dépendez d’eux.

Jay Powell a été choisi par le président Trump. C’est sans doute suffisant pour nous inquiéter. De fait, ce n’est pas un choix classique. Une veille tradition veut que le président des Etats-Unis maintienne en place un dirigeant de la Fed – comme on l’appelle pour faire court – qui n’a pas démérité et qui souhaite accomplir un autre mandat. Janet Yellen est unanimement respectée et elle était prête à continuer. D’ailleurs, Ben Bernanke, son prédécesseur, avait été nommé par Bush Jr et Obama l’a gardé. Avant lui, Alan Greenspan a été nommé par Ronald Reagan puis renouvelé par Bush Sr et Bill Clinton. On peut encore remonter dans le temps, avec le prédécesseur de Greenspan, Paul Volcker, nommé par Jimmy Carter et renommé par Reagan. Les alternances politiques entre démocrates et républicains ont ainsi voulu préserver l’indépendance de la banque centrale en la tenant à distance de leurs joutes politiques. Oui, mais voilà, Yellen avait été nommée par le président Obama et Trump semble obnubilé par son désir d’oblitérer tout ce qu’a fait son prédécesseur. Il a délibérément cassé cette belle unanimité.

Rejet des experts

Powell (un républicain), déjà nommé au Conseil des gouverneurs de la Fed par Obama (un démocrate), a été un bon soldat sous la direction de Yellen. Il a toujours suivi la majorité et il a défendu les décisions prises. On en conclut souvent qu’il fera ce que Yellen aurait fait si elle avait été maintenue dans ses fonctions. Ce n’est pas si simple. Diriger une banque centrale, c’est continuellement faire face à des surprises, petites et grandes, et réagir parfois très rapidement. Rien n’est écrit à l’avance. Trois aspects deviennent alors critiques. D’abord, toute bonne banque centrale est équipée d’analystes hautement compétents, qui établissent un diagnostic et dégagent des options. Ensuite, les décisions sont prises par un comité, qui comprend 12 personnes aux Etats-Unis. Le président ne peut pas être un dictateur, même s’il est plus influent que ses pairs.

On ne peut qu’être soulagé que Trump n’ait pas choisi l’un des autres candidats qu’il a interviewés et qui étaient soit peu compétents, soit très idéologues, parfois les deux

C’est ici qu’intervient la troisième considération, la compétence personnelle du président. Jay Powell est un juriste qui a été banquier avant de rejoindre la Fed. Ses soutiens affirment qu’il a beaucoup appris, ce qui est indéniable, mais les questions monétaires sont hautement techniques, et le deviennent de plus en plus. Ce n’est pas un hasard si de plus en plus de banques centrales sont dirigées par des économistes de haut niveau, comme le furent les prédécesseurs de Powell. Sa nomination est une rupture avec cette tendance, bien en phase avec les nominations de Trump dans toute son administration. Il a construit son ascension politique sur le rejet des experts, une stratégie adoptée par les populistes un peu partout dans le monde.

Prudence de Trump

Que conclure? D’un côté, on ne peut qu’être soulagé que Trump n’ait pas choisi l’un des autres candidats qu’il a interviewés et qui étaient soit peu compétents, soit très idéologues, parfois les deux. D’un autre côté, le comité de la politique monétaire devra être rapidement renouvelé. Il comprend les sept gouverneurs fédéraux et cinq gouverneurs régionaux. Cinq des sept gouverneurs fédéraux en place avant l’élection de Trump ont complété, ou compléteront dans les mois qui viennent, leurs mandats. Trump va donc pouvoir recomposer le comité de la politique monétaire. Il a déjà nommé Kevin Warsh, qui avait déjà fait un tour de piste au Conseil des gouverneurs durant la présidence de Bush Jr. C’est un juriste et un ancien banquier comme Powell, mais il est beaucoup plus idéologue et a raconté bien des bêtises ces dernières années. Il faisait partie des papables, et c’est Powell qui a gagné. Il va falloir connaître les quatre autres nominations pour savoir où va la Fed. Le seul point rassurant est que Trump semble prudent, peut-être conscient que le mélange est inflammable.


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