L’importance des générations
Dans les sciences sociales, cependant, il y a une tout autre explication depuis un certain temps: la société devient moins religieuse non pas parce que les individus perdent leur foi à l’âge adulte, mais parce que les générations plus âgées et plus religieuses meurent et que les générations plus jeunes et moins religieuses arrivent. Ainsi, les générations actuellement plus âgées ne sont pas plus croyantes parce qu’elles le seraient devenues au cours de leur vie. Elles ont plutôt grandi à une époque plus religieuse et ont maintenu ce niveau de religiosité relativement élevé au fil des ans. Les générations suivantes ont progressivement grandi dans des sociétés moins religieuses et ont maintenu la religiosité (moins importante) qu’elles avaient acquise dans leur jeunesse de manière relativement constante au fil des ans. Ce phénomène de sécularisation se produit donc en raison du remplacement des cohortes.
Chaque jeune génération est un peu moins croyante que la précédente et maintient ensuite cette religiosité relativement constante dans le temps
Cette théorie a déjà été confirmée avec succès dans divers pays occidentaux, tels que la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’Allemagne. Dans une nouvelle étude, il a été possible de retracer l’évolution religieuse en Suisse de 1930 à 2020 et en particulier de tester pour la première fois la thèse du remplacement des cohortes en Suisse. * Les résultats, obtenus sur la base du plus grand ensemble de données nationales disponibles sur les pratiques et croyances religieuses avec plus de 30 000 répondants, sont clairs et confirment l’importance des générations.
En Suisse aussi, chaque jeune génération est un peu moins croyante que la précédente et maintient ensuite cette religiosité relativement constante dans le temps. L’étude le montre pour l’appartenance religieuse, la fréquentation des services religieux, la fréquence des prières et la croyance en Dieu. Cependant, la sécularisation n’est pas entièrement due au remplacement des cohortes. Nous observons également de légères baisses de religiosité même à l’âge adulte, notamment en ce qui concerne l’appartenance religieuse (désaffiliations).
Pas de «révolution spirituelle»
En revanche, notre nouvelle étude réfute deux autres théories bien connues du changement religieux. Nos résultats contredisent la thèse que beaucoup de gens gardent leur foi et abandonnent seulement leur adhésion à l’église («believing without belonging»). Il n’y a pas eu non plus de «révolution spirituelle» en Suisse. Selon cette théorie, la religiosité chrétienne serait en déclin, mais serait remplacée par une spiritualité holistique et ésotérique. Si cette théorie était correcte, alors des pratiques telles que la clairvoyance, la méditation, le yoga, la guérison spirituelle ou la lecture de littérature spirituelle et ésotérique auraient fortement augmenté au cours des dernières décennies. Les données ne montrent rien de tel. Au contraire, les indicateurs de la spiritualité ésotérique holistique sont restés relativement stables au cours de la période observée.
Dans l’ensemble, notre étude montre, avec une précision jusqu’alors inatteignable, que la sécularisation en Suisse est très similaire à celle des autres sociétés occidentales. D’un point de vue religieux, la Suisse n’est pas un cas particulier.
* Stolz, J. & Senn, J. (2021). Des Générations à la foi décroissante. Religion et sécularisation en Suisse 1930-2020. Social Change in Switzerland, N° 27. www.socialchangeswitzerland.ch