Dans une tribune publiée fin mars, le conseiller d’Etat genevois Antonio Hodgers opposait les babys boomers, individus vernis, à la génération Y, précaire.

Lire: A Genève, la génération Y galère pour trouver un logement

Plus radical, l’historien sexagénaire français Emmanuel Todd en appelle à la «mise à mort de (sa) génération», qui continue de décider d’un avenir qu’elle n’aura pas à habiter.

Est-ce si tendu entre les générations? Les 20-29 ans paient-ils la facture du confort qu’ont connu leurs parents et grands-parents? Vit-on plus mal aujourd’hui qu’hier? Les milléniums ont-ils peur de l’avenir ou est-ce leurs parents, culpabilisés, qui noircissent le tableau? Et qu’en est-il de la Suisse?

Pour le savoir, Le Temps a lancé une grande enquête en mai dernier: 85 questions concernant les modes d’alimentation ou de consommation, les idéaux familiaux ou politiques, le rapport aux autres et à son propre avenir. Quelque 1206 personnes y ont répondu dans sa totalité, signe de l’intérêt qu’elle a suscité. Dès lundi, et pendant une semaine, nous en restituerons le contenu, enrichi de témoignages, de statistiques fédérales et d’avis d’experts, à travers une série en cinq épisodes, regroupés autour des thèmes les plus débattus.

Des valeurs qui rassemblent

Sans en dévoiler les tenants et aboutissants, on peut déjà relever quelques tendances. La première? Un consensus autour des valeurs. Ce qui frappe, c’est l’attachement de toutes les générations à la Suisse (plus de 80%), perçue comme une machine discrète mais efficace à intégrer et fédérer, grâce à son pragmatisme et à sa démocratie participative (90% de nos sondés disent voter régulièrement!). On peut parler d’une certaine fierté d’être Suisse. Pas de clivage non plus autour de la laïcité, de la religion, du féminisme, mais une ouverture plus grande chez les 20-29 ans à tout ce qui touche aux identités sexuelles. Le refus du binaire les caractérise. Le nombre insuffisant de propositions offertes à chacune des questions est d’ailleurs le principal reproche qui nous a été fait.

Vivre bien à défaut de vivre riche

Ce qui en revanche témoigne d’un changement de paradigme, c’est la valeur travail et sa conséquence directe: le rapport à l’argent.

La génération Y a conscience de la difficulté à se faire une place dans un marché saturé, et sait qu’elle ne jouira jamais – même surqualifiée – des mêmes avantages financiers que ses aînés, dont elle est en partie dépendante. Le point le plus sensible reste l’accession au logement. Mais, au lieu de s’en plaindre, elle a développé de nouvelles stratégies: elle ne veut plus que le travail soit au centre de sa vie, préfère partager les biens culturels que les posséder et a adopté une mobilité légère (en 1994, 71% des 18-24 ans avaient leur permis de conduire, contre 59% en 2010). Vivre bien à défaut de vivre riche. D’où le succès du RBI qui, comme le constate l’Office fédéral de la statistique, est une des rares votations où l’âge a joué un rôle.

Condamnée à changer

Génération hyperconnectée, technologiquement performante, elle est aussi très soucieuse de préservation, de l’environnement et d’une certaine qualité humaine. Contrairement aux babys boomers, elle relativise l’idée de progrès. Ses préoccupations (redistribution des richesses, transformation du travail, migrations, épuisement des ressources, déclassement social) traversent la société tout entière, à cette différence que c’est elle qui est exposée en priorité et que c’est elle qui devra trouver les solutions pour sortir de cette fin de cycle. Génération dite «sacrifiée», comme le révèle l’enquête européenne Generation What, elle est condamnée au changement.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.