Quoique minimal, le récent remaniement ministériel a le mérite de donner à Manuel Valls une carte à jouer du côté de Berlin. En manœuvrant habilement, le premier ministre saura faire accepter une relance budgétaire tout en lançant de profondes réformes structurelles
Le remaniement gouvernemental en France est a minima mais il suscite de vastes interrogations. Le changement de ministre de l’Economie et le départ de trois ministres frondeurs vont-ils changer la France? En tout cas, ils indiquent une crise politique au sein du parti majoritaire alors que le parti d’opposition est en morceaux. Cette crise politique permettra-t-elle de clarifier les choix pour faire face à la crise économique qui dure depuis cinq ans et qui en est la cause directe?
Difficile de savoir ce que veut François Hollande. Sa campagne présidentielle de 2012 avait été surréaliste. Il n’a jamais donné l’impression de réaliser que la situation économique était grave. En tout cas, il n’en a rien dit. Il a promis de taxer les riches et les entreprises pour financer plus de dépenses et plus de transferts. Une fois élu, il a déroulé son programme comme si de rien n’était. Quand a-t-il réalisé qu’il avait devant lui la rude tâche de sortir la France de la zone de tous les dangers et qu’il allait devoir faire les réformes auxquelles ses prédécesseurs s’étaient bien gardés de s’attaquer depuis au moins trente ans? L’a-t-il vraiment réalisé?
Ce qui est sûr, c’est que la chancelière allemande, Angela Merkel, qui avait eu droit à des mots peu aimables durant la campagne, l’a rapidement forcé à accentuer l’austérité budgétaire que, candidat, il avait rejetée. Il a choisi de s’attaquer au déficit public en taxant les riches mais, hélas, il n’y a pas assez de riches pour que cela rapporte. Il a alors taxé les entreprises et les classes moyennes. Le résultat était parfaitement prévisible. La France est retombée en récession, son économie plombée par l’angoisse des entreprises et la colère des contribuables.
Sans mandat populaire pour imposer les sacrifices nécessaires, et après avoir fait campagne contre l’austérité, François Hollande a changé de pied, contraint par les engagements européens voulus et surveillés par l’Allemagne. Sa chute spectaculaire dans les sondages d’opinion sanctionne ce revirement. Sa conversion à une politique d’austérité est à l’origine du remaniement gouvernemental.
Du point de vue économique, la situation est simple et bien connue. Aucun gouvernement français n’a équilibré ses comptes depuis 1974. La dette publique approche 100% du PIB, un niveau inquiétant. Mais en ce moment, la France n’arrive pas à retrouver le chemin de la croissance. L’absence de réformes sérieuses depuis des décennies explique pourquoi une reprise ne peut pas être fulgurante, mais il n’y a même pas de reprise. La stagnation représente un gaspillage inouï et son corollaire, un taux de chômage élevé, crée une souffrance sociale aiguë qui conduit à des troubles politiques. Sans politique monétaire autonome, seule la politique budgétaire est disponible pour le coup de pouce nécessaire. Mais une relance budgétaire requiert une aggravation du déficit. Le piège se referme.
Si la logique économique est claire, la situation politique est confuse. Le gouvernement Valls II est officiellement basé sur le principe de «on ne change pas de cap». Si c’est le cas, il y a de quoi être pessimiste. D’un autre côté, le remaniement semble aussi indiquer un changement d’équilibre entre le président et son premier ministre. Le président reste le patron, mais il est très affaibli. Tout comme son nouveau ministre de l’Economie, Manuel Valls n’a pas peur de secouer les dogmes et il a montré qu’il sait bouger vite. Il a tout intérêt à effectuer une relance budgétaire pour se réconcilier avec l’aile gauche de son parti.
Le nouveau gouvernement fera-t-il sans Arnaud Montebourg ce que celui-ci demandait? Voilà l’enjeu. L’affaire n’est pas seulement française. Vis-à-vis de ses partenaires européens, la France avait pris des engagements sur son déficit, et ces engagements ont déjà été desserrés. Ils devront l’être à nouveau prochainement car le déficit pour 2014 va excéder ce qui a été promis. Une relance budgétaire ferait voler tout cela en éclats. Ainsi la logique économique – s’attaquer en urgence à la récession – et la logique du pacte de stabilité (et de croissance!) – les engagements doivent être tenus – sont en conflit.
En fin de compte, la France est souveraine en matière budgétaire. Tout au plus risque-t-elle une sanction. Elle peut défier ses partenaires et voir s’ils iront jusqu’au bout du processus. C’est toutefois risqué pour tout le monde: mieux vaut s’entendre. La clé est un arrangement avec l’Allemagne. La chancelière est pragmatique, elle peut accepter une relance économique immédiate en échange d’une promesse de retour à l’équilibre budgétaire lorsque la reprise économique sera venue, et la mise en œuvre rapide de réformes structurelles. François Hollande n’a jamais su proposer un tel arrangement car il se refuse toujours à prendre des engagements précis et détaillés. Il en va ainsi des promesses qui ont tant fâché l’aile gauche de son parti, la baisse des dépenses publiques et de la fiscalité des entreprises. Son crédit est épuisé à Berlin, mais pas celui de Manuel Valls et d’Emmanuel Macron, son nouveau ministre de l’Economie.
Ces deux-là bénéficient en effet d’une situation favorable. La Banque centrale européenne (BCE), depuis toujours sur une ligne rigoriste en matière d’équilibre budgétaire, vient de signaler une approche plus flexible. Mario Draghi a indiqué que la politique monétaire n’a plus guère de marge de manœuvre pour soutenir l’activité et que c’est aux gouvernements de faire un effort. Il a même suggéré que l’Allemagne a les moyens d’effectuer une relance budgétaire et que l’austérité n’est pas la priorité des priorités. De plus, la conjoncture s’est bien détériorée en Allemagne et l’inflation de la zone euro flirte dangereusement avec zéro ou en dessous. Un coup de pouce budgétaire lui ferait le plus grand bien.
Le remaniement ministériel a le mérite de donner à Manuel Valls une carte à jouer. En aura-t-il les moyens politiques?
La stagnation représente un gaspillage inouï et son corollaire, un taux de chômage élevé, crée une souffrance sociale aiguë qui conduit à des troubles politiques
La clé est un arrangement avec l’Allemagne. La chancelière peut accepter une relance économique immédiate en échange d’une promesse de retour à l’équilibre budgétaire