Cité Emile Cordon, à Saint-Ouen, au nord de Paris. Un ensemble d’immeubles dont les élus locaux dressent chaque jour le diagnostic sociétal et économique. Dans les étages: un mélange multiethnique de familles populaires, souvent d’origine immigrée. Aux alentours: des rues parsemées de maisons avec jardins, occupées par des retraités ou des familles «bobos» ayant tenté l’aventure de cette banlieue pour échapper à la flambée des prix du foncier parisien, à deux pas des fameuses «puces» qui, chaque week-end, attirent les chineurs du monde entier.

Au bas des tours, dans les cages d’escalier et dans les caves? Le monde criminogène du «deal» et des trafics de drogue en tout genre. Avec, comme refrain, les cris lancés par les guetteurs à l’arrivée des policiers ou des riverains…

Colère des habitants

La France est droguée. C’est le constat du passionnant livre d’enquête de Claire Guédon et Nathalie Perrier sur cette métropole de Saint-Ouen où leur employeur, le quotidien «Le Parisien», a son siège social. «Une ville sous emprise» (Ed. du Rocher) dit la colère des habitants, l’épuisement des élus, l’incapacité des forces de l’ordre à démanteler l’économie souterraine engendrée par le trafic des stupéfiants, en particulier le cannabis.

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Mais l’ouvrage dit aussi ce que les parisiens ne veulent pas voir, et ce que les médias ont tant de mal à raconter: le défilé des jeunes lycéens parisiens venus acheter leurs «barrettes», les heures d’attente des cadres intoxiqués, prêts à patienter dans des couloirs de cave sordides ou derrière les poubelles utilisées par les «dealers» pour cacher leur came. Cette histoire est celle de Thomas, coursier parisien amateur de «joints». Elle est celle de Sébastien, lycéen habitué à «fumer». Longue, très longue liste.

Spirale infernale

Cette France-là est coincée dans une spirale infernale. On pense, en lisant l’enquête de nos deux consœurs parisiennes, aux reportages réalisés dans les quartiers nord de Marseille par Philippe Pujol, journaliste au quotidien communiste «La Marseillaise», auteur de «La fabrique du monstre» (Ed. Les Arènes). Les policiers? Contraints aux expéditions commandos ou au déploiement permanent de compagnies de CRS au pied des immeubles mis en coupe réglée par les trafiquants. Les travailleurs sociaux? Désespérés de voir les jeunes de leurs quartiers, ceux qu’ils ont vu grandir, s’installer dans cette économie parallèle génératrice de cash rapide, faute de perspective d’emplois. Les édiles? Contraints de répéter sans cesse, et sans convaincre, qu’une vie sociale normale demeure, que le lien n’est pas brisé, que la République n’est pas submergée et qu’il n’y a pas de zones de non droit.

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La descente aux enfers de la cité Emile Cordon est un labyrinthe. Lorsque la municipalité installe, pour protéger les habitants et les mères de famille, des chicanes pour empêcher l’accès du quartier aux scooters, l’endroit se transforme en lieu de rodéo motorisé. Lorsque le ministre de l’intérieur reçoit en urgence le maire de Saint-Ouen William Delannoy, l’élu finit par lâcher, dépité, que seule la légalisation du cannabis permettrait sans doute de sortir de cette impasse.

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Racontée la présidentielle depuis les banlieues

C’est là que le débat présidentiel à venir s’invite. Sur les drogues, sur le trafic, sur la gangrène qui vérole les cités, les candidats multiplient les déclarations de fermeté. Mais comment ne pas voir que leurs discours se noient dans la réalité bien plus noire que celle des chiffres? Qui racontera la campagne de 2017 en direct de ces immeubles avec vues sur le périphérique et sur les puces comme le firent nos amis de «L’Hebdo» en 2005, avec le «Bondy Blog»?

La France craque. Nous l’avons déjà écrit. Mais elle répare aussi. C’est le sens du satisfecit que Transparency International vient d’accorder à la présidence de François Hollande en matière de lutte contre la corruption. Dans son rapport du 19 décembre, l’organisation «se félicite des avancées obtenues sur plusieurs sujets importants, tels que la prévention des conflits d’intérêts, la lutte contre la délinquance économique et la protection des lanceurs d’alerte».

C’est un point important. Mais là aussi, gare aux avis basés sur le bilan législatif de ce quinquennat: «Le tour de France de la corruption» (Ed. Grasset) publié récemment démontre que les dessous-de-table, la fraude, le népotisme et le favoritisme demeurent les plaies d’une République toujours loin d’être «exemplaire». A l’année prochaine!

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