France-Maroc, le choc que l’extrême droite française veut voir mal tourner
Résident de la République
CHRONIQUE. A Paris, les victoires marocaines provoquent surtout de la joie dans la rue et des déclarations catastrophistes chez les polémistes identitaires qui ne veulent voir que les débordements

France-Maroc, tout un programme. Commençons par dire que cette demi-finale réjouit beaucoup de Français. Certainement une majorité. A Paris, tout le monde connaît quelqu’un qui est d’origine marocaine. Les soirs de victoire des Lions de l’Atlas au Qatar, historiques pour le monde arabe, les explosions de joie étaient visibles à chaque coin de rue. Ce lundi matin encore, sur le chemin de l’école, on se congratulait entre supporters de la France et du Maroc.
On sent cependant aussi qu’une partie du paysage, en particulier du côté de la droite identitaire, est dans les starting-blocks pour critiquer les binationaux et les immigrés qui se réjouiraient d’une victoire maghrébine face aux Bleus. Officiellement, ils «craignent» des débordements, mais force est de constater qu’ils sont partout dans les médias pour diffuser cette «crainte» avec une gourmandise qu’ils ont du mal à cacher.
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En fait, les plus énervés n’ont pas attendu la demi-finale pour brandir leurs arguments. Dès la victoire du Maroc sur la Belgique, qui a été suivie de violences à Bruxelles, les troupes d’Eric Zemmour sont montées au créneau pour dénoncer les «colons» marocains qui «remplaçaient» le drapeau belge par celui de leur pays d’origine. «Bienvenue au Belgikistan», titrait le magazine de droite radicale Valeurs actuelles. Quant à la victoire du Maroc sur l’Espagne, elle aura comme conséquence l’arrêt des subventions pour tout un quartier dans la municipalité Rassemblement national de Fréjus, à la suite d’autres débordements. «Une sanction collective contraire à toutes les règles juridiques, à tous les principes républicains», estime l’éditorialiste Jean-Michel Aphatie.
Et, finalement, ce dimanche, après les quarts et en prévision des demies, Eric Zemmour a lui-même affirmé sur BFMTV que l’on ne pouvait pas être supporter de deux pays et qu’il trouvait «bizarre» qu’il y ait eu plus de gens pour célébrer la victoire du Maroc que celle de la France sur les Champs-Elysées samedi. «Comment réagiraient les Marocains si à Marrakech des milliers de Français célébraient la victoire de la France? Ils se sentiraient dépossédés de leur pays», a affirmé le polémiste avant d’ajouter un cocasse «je n’ai pas vu, quand il y a un match France-Italie, des gens d’origine italienne qui disent «on est pour l’Italie». Moi, j’en ai vu. Et il faut dire que les Italiens ne sont pas vraiment en position de fanfaronner cette année…
«Evénement lourd de symboles»
Le nouveau président du Rassemblement national, Jordan Bardella, déroule le même argumentaire, même s’il l’emballe un peu mieux dans la stratégie de respectabilité du parti de Marine Le Pen. Il voyait lui aussi sur BFMTV ce lundi matin «une génération qui arrive à l’âge adulte en France et qui se comporte comme les ressortissants d’un Etat étranger en exprimant en permanence un sentiment de revanche». Pour lui, «SOS Racisme et le Parti socialiste ont tout fait pour enfermer les Français d’origine étrangère dans la haine de la France». Comprend-il les binationaux dont le cœur balance avant ce match? «C’est un match de foot, à un moment donné il faut choisir», affirme-t-il, trop heureux de pouvoir faire passer son message identitaire.
Plus modéré, Le Figaro, principal quotidien français de droite, a tout de même affirmé dans son éditorial de lundi qu’une demi-finale France-Maroc était «évidemment un événement lourd de symboles»: «Il suffit d’observer et d’écouter les foules qui se déchaînent dans les rues les soirs de victoire marocaine pour constater que se manifeste souvent autre chose que de la joie», écrit Yves Thréard.
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Finalement, sur CNews, c’est peut-être le philosophe Alain Finkielkraut qui a lâché le morceau. Pour lui, «l’illusion du vivre-ensemble va en prendre un sacré coup» mercredi soir avec «une preuve supplémentaire que la francophobie est un sentiment de plus en plus répandu en France». Et là, dans ce qui ressemble au quasi-lapsus le plus révélateur de ce début de semaine, il a admis en conclusion ce qui semble être le sentiment qui sous-tend toutes ces prises de parole: «Nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise.» Un France-Maroc sans débordements serait donc une bonne surprise dont il faudrait se mettre à l’abri.
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