Dérapage, maladresse ou préméditation? Mercredi, lors de son homélie consacrée au commandement «Tu ne tueras point», le pape François lève les yeux de ses notes et se livre à un dialogue improvisé avec les 25 000 fidèles présents pour l’événement. En évoquant l’avortement, le souverain pontife déclare: «Vous trouvez cela juste? […] On n’a pas le droit de se débarrasser d’un être humain, même s’il est tout petit. C’est comme engager un tueur à gages pour résoudre un problème.»

Sur les réseaux sociaux, le constat est clair. Les propos du pape François, décrit comme «cool» et «moderne», ne se distinguent pas de ceux de ses prédécesseurs. «Le vernis «progressiste» se craquelle…» remarque une internaute. «Ça n’a pas pris une ride», constate une autre, en publiant une caricature de Reiser datant de 1979 titrée: «Avortement, les femmes répondent au pape», où l’on voit une femme enceinte s’en prendre physiquement au chef religieux en soutane.

Les mots qui choquent

Déjà, le souverain pontife avait qualifié l’avortement de «crime». Déjà, il avait comparé l’interruption volontaire de grossesse (IVG) pratiquée en cas de handicap du fœtus à un eugénisme. Mais cette fois ce sont surtout les mots empruntés qui choquent. Dans son ouvrage Mémoire et identité publié post-mortem en 2005, Jean-Paul II considérait l’avortement comme une «extermination légale d’êtres humains qui ont été conçus mais ne sont pas encore nés» et comparait l’IVG à l’Holocauste.

Peu d’évolution dans le discours, remarque-t-on donc. Ni dans le fond, ni dans la forme. «Utiliser le terme «tueur à gage», c’est désigner à la vindicte populaire extrémiste des gynécologues, des infirmières qui font leur métier […]. Il n’est pas obligé d’utiliser une expression qui va attiser l’agressivité, qui va nourrir les plus radicaux», souligne la chroniqueuse Alba Ventura sur RTL.

Au-delà de l’accusation frontale contre le milieu médical, c’est évidemment au droit des femmes à disposer de leur corps que s’en prend le souverain pontife. «Ces propos visent à garder la main sur les ventres de la moitié de la population, s’insurge l’éditorialiste du Courrier. Fait dramatique: ses propos touchent au-delà du cercle des catholiques. Ils influencent des décideurs politiques et des votants. Et cela fonctionne: en Italie, 70% des médecins refusent de pratiquer les interruptions de grossesse en faisant jouer leur clause de conscience. En France, ils sont également nombreux (dont le président du syndicat des gynécologues), et certains hôpitaux publics ne permettent plus aux femmes d’accéder à ce droit.»

Creuser un schisme

Sur LCI, Alain Duhamel relève de son côté le schisme que le discours «blessant» de mercredi creuse au sein des catholiques: «Le pape François vante les vertus de la bienveillance. Là, il est malveillant. […] On sait très bien qu’en matière de mœurs, les catholiques ne respectent pas du tout les préceptes de l’Eglise. […] Ces propos accentueront la divergence entre les commandements et les comportements.»

Catholiques ou pas, les femmes sont aujourd’hui nombreuses à recourir à l’avortement. Mais la cause, et le discours du souverain pontife le prouve, n’est pas encore gagnée. Toujours sur LCI, Laurence Taillade, présidente du parti laïque français, profite donc de sa carte blanche pour présenter des chiffres: «225 millions de femmes sont dépourvues d’accès à la contraception, 300 000 femmes meurent tous les ans d’un avortement qui s’est mal passé. Toutes les 9 minutes, une femme meurt d’un avortement clandestin. L’Eglise, en cinquante ans, n’a pas évolué. Elle est toujours aussi stupide.»

Il ne faut pas se fier au temps qui passe. En 1974, Simone Veil faisait passer la loi Veil, dépénalisant l’avortement en France. Cette femme, décédée en 2017, avait une fois précisé: «Personne ne se fait avorter par plaisir.»

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