De manière frontale ou insidieuse, le Covid-19 a changé leur mode de vie, bousculé leurs projets professionnels ou fait naître une passion inattendue. Toute cette semaine, cinq Romands nous racontent les dessous de ce grand bouleversement, entre espoirs, joies et appréhensions.

Une déflagration, un souffle puissant qui a soudain remis de l’ordre dans ses priorités. C’est ainsi que François Moncarey décrit l’effet du Covid-19 sur sa vie. Pour ce père de famille genevois de 41 ans, artiste indépendant dans le domaine des arts numériques et curateur pour plusieurs festivals, la pandémie a provoqué un changement irrévocable. Lui qui cumulait jadis les mandats et voyait ses deux jeunes enfants en coup de vent passe désormais plusieurs heures par jour avec eux. Le reste du temps, il se dépense sans compter pour faire fructifier le potager communautaire qu’il partage avec des amis.

Avant la crise, François Moncarey travaillait beaucoup, bataillait pour tout concilier, prendre du temps pour ses enfants, épauler sa compagne. «J’avais l’impression d’être accompli, mais en réalité j’étais prisonnier d’une course sans fin vers la productivité, confie-t-il, assis à l’ombre de l’immense tilleul qui trône au milieu du potager en friche. J’enchaînais les productions d’œuvres sans trop savoir pourquoi, ce qui est un comble dans le domaine artistique.» En voyant son agenda se remplir de rendez-vous, d’échéances cruciales à respecter, l’homme était parfois pris de vertige mais gardait la tête dans le guidon. Tout s’arrête brusquement au début du mois de mars. Un e-mail, puis deux, puis des dizaines: ses mandats tombent les uns après les autres. La culture est sinistrée, lui se retrouve désœuvré.

«Une erreur magistrale»

Au départ, François Moncarey peine à gérer ce vide. Les statistiques quotidiennes des contaminations qui flambent n’arrangent rien. Plongé dans ce tourbillon vertigineux, il s’interroge. «Au supermarché, les rayons de farine et d’œufs étaient vides, j’ai réalisé l’absurdité de la situation, compris qu’une nourriture saine était finalement la seule chose dont on avait impérativement besoin, tout le reste n’était qu’accessoire.» Le citadin comprend avec amertume à quel point il s'est déconnecté de la terre nourricière. «J’avais beau avoir grandi à la campagne, la rupture avec la nature m’est apparue en pleine face, comme une erreur magistrale», lâche-t-il.

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Le 14 mars, veille du semi-confinement, François Moncarey et sa femme décident de rejoindre la Ferme du Fond de l’Etang, un terrain de 2 hectares géré par des amis à Plan-les-Ouates. Créée il y a cinq ans, l’association éponyme promeut un mode de vie plus respectueux de la nature, des valeurs telles que le partage, la solidarité ou encore l’égalité. De nobles idéaux mis en pratique au quotidien.

A côté de l’espace cultivé en commun, la dizaine de familles impliquées dispose chacune d’une parcelle pour ses propres plants. Sans but lucratif, l’association vise à promouvoir la permaculture. Dans un coin du terrain, une écocrèche accueille par tous les temps une dizaine de bambins, dont l’aîné de François Moncarey, âgé de 3 ans. «Au contact direct avec la nature, ils voient les graines devenir plantes, puis fruits, ils nourrissent les chèvres et construisent de vraies cabanes les pieds dans la boue lorsqu’il pleut», s’enthousiasme le jeune père, avide de transmettre le lien avec la nature.

L’effort qui soude

Loin de l’utopie, l’expérience de la ferme se révèle enrichissante pour lui. «Préparer la terre, planter des courges, construire une clôture en bois ou craindre les Saints de glace ensemble, cela fortifie les rapports humains, estime-t-il. On apprend à se connaître dans un contexte plus intense, l’effort physique décuple les sensations.» Dans cet écrin de verdure, le jeune quarantenaire et sa famille ont vécu les deux mois de confinement en quasi-autarcie, ne revenant à leur appartement des Charmilles que de temps à autre, en prenant toutes les précautions d’usage. Une bulle qui les a aussi préservés de l’actualité, qu’ils ne suivent que sporadiquement.

Qu’en est-il aujourd’hui? «L’activité culturelle a repris peu à peu, j’ai recommencé à travailler sur des mandats pour la rentrée, dont un projet de re-connexion avec le Musée d’histoire naturelle», raconte François Moncarey. Hors de question pour autant de reprendre sa vie d’avant. «J’ai entièrement revu mes horaires, explique le père de famille. Je me lève très tôt pour avancer sur mes mandats. Ensuite, je vais me baigner au lac avec mon fils avant de rentrer travailler de nouveau puis de faire à manger. L’après-midi, je file au potager, avec eux le plus souvent.»

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Conscient d’être privilégié, le Genevois savoure d’autant plus sa liberté. «Le temps et l’attention que je peux accorder à mes enfants n’ont pas de prix, je suis pleinement disponible quand je suis avec eux.» Physiquement aussi, le changement est perceptible. «Je me sens plus en forme maintenant que je passe beaucoup de temps dehors, affirme-t-il. Le travail physique et le contact avec la terre augmentent l’immunité virale. Auparavant, je restais des heures courbé devant mon écran d’ordinateur. J’étais souvent tendu et stressé.» A travers la crise, cet ingénieur de formation a finalement conjuré une peur: celle de ne pas voir ses enfants grandir. «Je ne cours plus après le temps qui passe, je le vis.»

 

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