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A la frontière, les nouveau-nés pèsent 700 grammes

La mort d’une femme nigériane après qu'elle eut tenté de passer la frontière italo-française indigne autant dans la presse que sur les réseaux

Au col de l'Echelle, les migrants sont nombreux à la frontière italo-française. — © Piero Cruciatti/AFP Photo
Au col de l'Echelle, les migrants sont nombreux à la frontière italo-française. — © Piero Cruciatti/AFP Photo

Des hommes, une frontière, des tragédies. Les faits remontent au mois de février. Beauty a 31 ans et vient du Nigeria. Enceinte, elle vit avec son mari, Destiny, 33 ans, près de Naples. Lorsqu’elle réalise qu’elle souffre d’un lymphome, elle décide de poursuivre sa grossesse en France où réside sa sœur. Elle s’engage donc sur la route que suivent de plus en plus de migrants, celle qui passe par Turin et traverse les Hautes-Alpes par les cols pour aboutir à Briançon.

Cette route, Le Temps l’avait déjà évoquée au mois de novembre, lors d’un reportage au col de l’Echelle, à 1762 mètres, alors que – malgré les premières neiges de l’hiver qui venaient de se déposer – le flux migratoire ne faisait que s’accentuer. Depuis 2016, la région subit une pression migratoire croissante. Certains exilés parviennent sains et saufs en France et d’autres sont refoulés en Italie. Difficile de connaître les critères qui président à l’expulsion ou au laissez-passer.

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Le 9 février, alors qu’ils traversaient la frontière, Beauty et son mari sont arrêtés par les gendarmes. Elle est enceinte de six mois, et peine à respirer. Selon l’ONG italienne Rainbow4Africa ils auraient été déposés en pleine nuit devant la gare de Bardonecchia, du côté italien.

Bébé prématuré

La semaine passée, Beauty est décédée, dans un hôpital à Turin. Son bébé, Israël, né prématurément, ne pesait à sa naissance que 700 grammes. Sur le ventre de son père depuis une semaine, il en aurait déjà pris 200 autres, et les médecins se disent confiants quant à son avenir.

Le drame ne laisse personne indifférent. Selon la presse et les associations italiennes, une information judiciaire a été ouverte à Turin ce samedi. La région transfrontalière vit ce que ses habitants décrivent comme un drame humanitaire. Et des civils s’organisent pour éviter que des accidents ne surviennent dans leurs montagnes. Mais, le nombre de passages augmentant, la pression sur ces bénévoles humanitaires s’accentue. Ils se savent surveillés par les autorités, et certaines mises en garde à vue ont été rapportées.

Secouriste appréhendé

La dernière en date est celle de Benoît Ducos. Le 10 mars, le militant avait porté assistance à un groupe de migrants dont faisait partie une femme enceinte soumise à des contractions. En chemin vers l’hôpital de Briançon, l’homme est arrêté par un contrôle de douane qui retarde la prise en charge de la future mère. Selon les propos du Français relayés par Le Monde, il a été question d’expulser vers l’Italie le père et les deux enfants, avant que les forces de l’ordre ne se ravisent et ne les conduisent au chevet de la mère, qui les réclamait. Une enquête est en cours afin de définir le rôle précis du secouriste.

Déjà, cet incident avait été «celui de trop». A la frontière, sur le col de Montgenèvre, des manifestants dénonçaient une oppression inhumaine et répétaient les slogans «Protégeons les humains, pas les frontières» ou «France, pleure! Ton humanité a foutu le camp». Sur les réseaux, l’indignation n’est plus contenue.

Un Etat aveugle

Le décès de Beauty vient s’ajouter au tableau des tragédies. Sur le Net, certains internautes ont honte. «La France est morte!» s’exclame l’un d’eux, regrettant le manque d’humanité des autorités de l’Hexagone. «La peur de l’«invasion» étrangère aveugle l’Etat et lui fait oublier les fondements de notre République», s’indigne un autre sur Twitter.

Les mêmes commentaires apparaissent sur les réseaux italiens. Toutefois, le témoignage du mari de Beauty, diffusé sur le site de La Repubblica, apporte de l’eau au moulin des récalcitrants aux arrivées de migrants, des deux côtés de la frontière. Le veuf précise que lui seul avait été interdit de territoire français. Son épouse, autorisée, quant à elle, à entrer en France, aurait choisi de rester avec lui en Italie.

Sur la page Facebook de Libération, un lecteur soudain relativise: «Elle a fait cela de son plein gré. Pas la peine de culpabiliser la France.» Son message a été effacé dans l’après-midi.