FTX, deuxième plus grande plateforme d’échange de cryptos au monde – première aux Etats-Unis – était une icône dans le milieu des cryptomonnaies. Son fondateur et «philanthrope» Sam Bankman-Fried (SBF) est devenu multimilliardaire. Et son aura allait bien au-delà des fans inconditionnels du secteur puisqu’il a su lever des capitaux auprès des plus grands noms du capital-risque et de la gestion institutionnelle: Sequoia, Tiger, BlackRock, SoftBank, le fonds souverain de Singapour Temasek ou encore un fonds de pension dans l’Ontario.

Le portefeuille numérique de FTX est utilisé par des millions de personnes dans le monde. La plateforme a également été partenaire de grandes entreprises (Visa, Gamestop, Reddit) et accompagne les projets blockchain de la Corée du Sud. Après une croissance vertigineuse, qui a vu la société passer de 1 à 32 milliards en douze mois, FTX a tout perdu en l’espace de 72 heures. Elle a annoncé vendredi déposer son bilan et cherche désespérément de nouveaux bailleurs de fonds. Comment expliquer une telle catastrophe?

Lire aussi: La plateforme de cryptomonnaies Binance renonce à acheter son rival FTX, en grandes difficultés

Solide sur le papier

FTX affichait 14,6 milliards de dollars d’actifs contre 8 milliards de dette. Cela dit, un article récent de Coindesk a mis en évidence un élément particulièrement troublant: près de 40% des actifs détenus au bilan étaient constitués (ou collatéralisés par) de jetons numériques de FTX, les FTT. En quelque sorte, les emprunts contractés par l’entreprise ont servi en partie à nourrir la hausse du cours des FTT, 75% des jetons en circulation étant d’ailleurs détenus par la société. Un tel effet de levier laisse surtout planer le risque que toute baisse de la valeur des jetons entraîne la société dans sa chute.

Binance, leader mondial des échanges de cryptos et l’un des plus importants investisseurs, dans FTX, a réalisé l’ampleur du danger. En déclarant vouloir se séparer des FTT qu’il détenait, il a déclenché une crise de liquidité qui a sonné le glas de la plateforme. Une chute qui s’explique principalement par un excès de levier garanti par des actifs illiquides et non ségrégués.

L’industrie des cryptos pourra-t-elle se relever d’une telle débâcle? Contrairement à la finance traditionnelle, aucune banque centrale ou gouvernement n’est intervenu pour sauver FTX et limiter le plongeon des cryptomonnaies. Jusqu’alors, ce sont des grands acteurs des cryptos qui ont sauvé certains protocoles en difficulté. Mais force est de constater que le nombre d’acteurs en mesure de jouer les chevaliers blancs est en train de fondre comme neige au soleil. FTX avait d’ailleurs été particulièrement généreux dans le passé en venant en aide à certaines sociétés au bord de la faillite. Elle ne sera plus en mesure de le faire. Quant à Binance, identifié comme un possible repreneur pendant quelques heures, il y a finalement renoncé.

Autre conséquence négative pour l’écosystème des cryptos: un coup dur porté à l’appétence pour les projets d’actifs numériques de la part des investisseurs institutionnels. Par ailleurs, les pressions de la part des régulateurs et des investisseurs se font croissantes pour exiger auprès des différentes entités cryptos davantage d’informations, de transparence et de limites de risque. Un niveau de «due diligence» accru qui pourrait précipiter la chute d’autres entités et accélérer encore davantage la purge en cours.

Un mal pour un bien

La croissance exponentielle et sans garde-fou des cryptomonnaies peut être comparée à celle des dot-coms dans les années 1990. A cette époque, le crash avait débouché sur l’effondrement de milliers d’entreprises internet, gérées par des équipes sans la moindre expérience, avec des modèles d’affaires qui n’étaient pas pérennes et une situation financière qui ne leur a pas permis de survivre au soudain retrait des liquidités. Les cryptos font actuellement face à une situation similaire; dans un processus typiquement darwinien, des milliers d’entités vont disparaître laissant le champ libre aux protocoles et modèles financiers les plus solides. La comparaison pourrait d’ailleurs ne pas s’arrêter là; en effet, Bitcoin, Ethereum et Binance seront peut-être un jour l’équivalent crypto de ce que les GAFA sont à la technologie.

Et comme chaque crise crée des opportunités, il faut également rappeler le rôle que pourraient jouer des acteurs financiers traditionnels et régulés: celui d’offrir aux clients privés et institutionnels une solution de dépôt et de négoce de cryptomonnaies avec les mêmes garanties de sécurité et de transparence que sur les principales classes d’actifs.

Enfin, les lignes devraient également bouger du côté des échanges. Binance a proposé la mise en place d’un système de «Proof-of-Reserves», un audit de réserve utilisant la technologie blockchain, afin d’offrir une transparence totale des liquidités détenues par les plateformes. La réglementation des cryptomonnaies centralisées est une urgence pour restaurer la crédibilité de l’industrie.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.