La reconnaissance faciale peut-elle déceler l’homosexualité? Développée à l’Université Stanford, au sud de San Francisco dans la Silicon Valley, une intelligence artificielle (IA) relance cette théorie controversée. Après avoir analysé 35 000 visages référencés sur un site de rencontres américain, elle prétend pouvoir déceler l’homosexualité d’un individu à partir de sa photo. Tristement surnommé «gaydar», l’outil atteindrait, selon ses créateurs, un taux d’exactitude de 91%. Publiée dans The Journal of Personality and Social Psychology, l’étude a ensuite été relayée par The Economist.

Jugé discriminant et dangereux par les associations LGBT et bien au-delà, le nouvel outil soulève évidemment un profond questionnement éthique. Le biais physionomiste pose d’emblée problème. L’IA affirme notamment que les homosexuels ont des «caractéristiques», des «expressions» et des «styles vestimentaires» plus féminins que les hétérosexuels et vice versa.

L’étude détecterait aussi des mâchoires plus étroites, des nez et fronts plus longs chez les gays; ainsi que des mâchoires plus grandes et des fronts plus petits chez les femmes lesbiennes. Des traits que les chercheurs attribuent aux hormones, en particulier la testostérone.

«Junk science dangereuse»

Face à ces conclusions lourdes de stéréotypes, The Human Rights Campaign (HRC) et Glaad, deux des principales associations LBGT aux Etats-Unis, dénoncent une «junk science dangereuse et imparfaite». «Imaginez un instant les conséquences si cette recherche était utilisée pour soutenir les efforts d’un régime autoritaire dans l’identification et la persécution des citoyens présumés gays», tance le directeur du HRC pour l’éducation, Ashland Johnson.

«Cet outil peut exposer publiquement des personnes homosexuelles et les placer en situation de vulnérabilité.» «Cet article est basé sur une vision absolument binaire, essentialiste et exclusive des orientations sexuelles humaines», s’indigne le sociologue spécialiste des réseaux sociaux Antonio Casilli dans un billet de blog acéré.

«Simple désaccord idéologique»

Interrogé par The Guardian, le co-auteur de l’étude, Michal Kosinski, fait part de son incompréhension. «L’outil de reconnaissance faciale existait déjà, explique-t-il. Le but de l’étude était précisément d’exposer les potentielles utilisations dangereuses de l’AI et de plaider pour une réglementation stricte qui protège la vie privée.» Face aux critiques, le chercheur a réitéré le «risque que présentent ces nouvelles technologies» et encouragé les internautes à ne «pas rejeter des résultats par simple désaccord idéologique».

«On revient en arrière»

Il n’empêche, l’étude réactive la théorie sur l’origine biologique de l’identité sexuelle. «Quel est l’objectif de cette recherche? s’insurge Florent Jouinot, agent communautaire pour l’association vaudoise VoGay. Sur quoi se base-t-elle?» Penser que l’homosexualité se lit sur les visages est, à ses yeux, une idée «totalement aberrante». Elle repose toutefois sur toute une idéologie.

«On revient en arrière, à l’époque d’Erving Goffman et sa théorie des stigmates, estime-t-il. L’homosexualité doit pouvoir se voir, se détecter, sinon elle inquiète.» En août dernier, les éditeurs du logiciel espion Fireworld, hébergé en Suisse, avaient dispensé des conseils pédagogiques aux parents pour déceler des signes d’homosexualité chez leur enfant. Cible de vives critiques, la page avait finalement été supprimée.

Que doit servir la science?

Cette polémique pose finalement une question cruciale: au service de quoi doit-on convoquer la science ou la technologie? Que ce soit pour croiser les interactions sociales entre individus ou analyser leur visage, la technologie du Big Data serait plus utile pour certaines causes… Au hasard, la lutte contre les discriminations.

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