Mercredi 14 novembre, la conférence à l’Université de Genève de la haut-commissaire aux Droits humains, Michelle Bachelet, a été brièvement perturbée par deux femmes mapuches qui ont déployé une banderole interpellant l’ex-présidente du Chili sur les violations aux droits humains commises envers le principal peuple autochtone du pays. Les deux femmes ont été rapidement évacuées de l’estrade par le personnel de sécurité, au milieu d’une assistance divisée entre attitudes de solidarité envers la cause mapuche et réactions outrées, voire agressives, vis-à-vis de l’action des deux femmes. Quoi qu’il en soit, Madame Bachelet a poursuivi sa conférence, sans aborder cette thématique.

Au nom des lois antiterroristes

Hasard terrible du calendrier, ce même jour, dans la communauté de Temucuicui, au sud du Chili, des membres du commando spécial des forces de police Jungla (entraînées en Colombie et aux Etats-Unis) abattaient de plusieurs balles dans le dos un jeune agriculteur mapuche, Camilo Catrillanca, qui rentrait son tracteur, et interpellaient de manière musclée le mineur qui l’accompagnait.

Comme ses prédécesseurs, et son actuel successeur, Bachelet a participé à criminaliser les revendications mapuches

Le nom de Camilo Catrillanca vient ainsi s’ajouter à la liste de jeunes mapuches qui ont perdu la vie face aux forces policières chiliennes depuis le début des années 2000. Les auteurs de ces morts jouissent d’une totale impunité, facilitée par la dénomination de «terroristes» accolée aux revendications mapuches qui recouvrent, notamment, la reconnaissance constitutionnelle, le droit à l’autodétermination, la récupération des terres usurpées dans un processus de colonisation qui perdure. Comme ses prédécesseurs, et son actuel successeur, Michelle Bachelet a participé à criminaliser ces revendications en appliquant durant ses deux mandats (2006-2010 et 2014-2018) la loi antiterroriste instaurée durant la dictature du général Pinochet.

Fracture de la société chilienne

Dans un contexte politique marqué par une profonde polarisation gauche-droite et une gouvernance néolibérale facilitant à outrance le développement de projets extractifs sur les territoires autochtones, la question mapuche a le triste privilège de transcender les clivages partisans. Elle exprime de manière emblématique les profondes fractures de la société chilienne, l’une des plus inégalitaires qui soient. Allant bien au-delà de la dimension économique, ces fractures sont en lien direct avec l’histoire de l’Etat-nation chilien et de sa mémoire. Les difficultés à considérer la dette historique envers les peuples autochtones, le refus d’ouvrir un vrai dialogue sur la question territoriale, et d’agir sur les mécanismes structurels d’exclusion et de discrimination endurés par les autochtones sont autant de manières d’attiser une violence étatique ancrée dans l’amnésie collective – une violence loin d’être symbolique, puisqu’elle tue impunément.


Anne Lavanchy est anthropologue à la HES-SO – HETS Genève; Anahy Gajardo est anthropologue à l'Université de Neuchâtel, Irène Hirt est géographe à l'Université de Genève.

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