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À Genève, la philanthropie peut innover

Longtemps isolé du reste de la Genève internationale, le secteur de la philanthropie s’ouvre enfin à des collaborations qui mèneront vers l’innovation financière, observent Mara De Monte et Henry Peter, directrice exécutive et directeur du Centre en philanthropie de l'Université de Genève.

Historiquement séparés par le lac Léman, le secteur de la philanthropie et le reste de la Genève internationale se rencontrent de plus en plus dans le but de trouver des solutions innovantes. — © Switzerland Tourism
Historiquement séparés par le lac Léman, le secteur de la philanthropie et le reste de la Genève internationale se rencontrent de plus en plus dans le but de trouver des solutions innovantes. — © Switzerland Tourism

Cet article fait partie d'un supplément publié par Le Temps pour les deux ans de son partenaire sur la Genève internationale, Geneva Solutions.

Cela fait bien plus d’un siècle que Genève est un centre majeur de coopération multilatérale et une plaque tournante de la philanthropie, fondée sur sa culture protestante et la tradition suisse de neutralité, de stabilité et de crédibilité, nourrie par un capital humain international et un héritage de terre d’accueil. Ce qu’on connaît comme l’esprit de Genève. C’est ce qui a attiré tant d’ONG et d’acteurs altruistes à Genève. Les défis auxquels le monde fait face actuellement laissent présager que le rôle de Genève en tant que centre de la philanthropie ne perdra pas de son importance dans les 20 prochaines années et bien au-delà.

On considère souvent qu'à Genève deux mondes coexistent sans interagir: la Genève internationale et la communauté financière, séparées par le Léman et le Rhône. Mais cette dichotomie s’estompe, en partie grâce à un troisième acteur: le monde académique. L’Université de Genève (UNIGE), le Graduate Institute et d’autres centres académiques de la région lémanique ont un important potentiel et rôle à jouer dans les décennies à venir pour consolider Genève en tant que centre œuvrant pour le bien commun , avec quelques tendances majeures qui se profilent déjà.

Des acteurs privés s’engagent

Il est bien connu qu’une part importante de la richesse privée mondiale est gérée à Genève. Ses propriétaires sont de plus en plus sensibles au bien commun et donc disposés à investir à cette fin. Il en résulte notamment le fait d'accepter un investissement dans une entreprise altruiste dans laquelle l’investisseur accepte le risque de perdre tout ou partie du capital investi. La contribution philanthropique est dans ce cas le risque qui est pris.

Les entreprises et le secteur privé reconnaissent également leurs responsabilités sociétales et l’on peut s’attendre à ce que davantage de chefs d’entreprise adoptent des modèles d’entreprise alternatifs, axés sur les parties prenantes, en s’éloignant de la seule maximisation du profit. La priorité est donnée à l’impact sociétal, comme l’illustre le mouvement croissant de l’entrepreneuriat social. À titre d’exemple, le Forum économique mondial a fait de la durabilité l’une de ses priorités et sa sœur, la Fondation Schwab pour l’entrepreneuriat social, s’est récemment associée au Centre en philanthropie de Genève pour organiser une grande conférence internationale sur l’entrepreneuriat social.

Innover pour la finance altruiste

Si l’octroi pur de subventions reste fondamental, les fonds d’investissement philanthropiques innovants permettent à différents types d’investisseurs, fondations et autres, de mettre en commun leurs ressources, de partager les risques et de mieux répondre aux besoins grâce à une innovation permanente. Le savoir-faire genevois a donné naissance à de nouveaux acteurs, comme Sustainable Finance Geneva, une ONG qui promeut la finance durable, ou Impaakt, une plateforme qui s’appuie sur l’intelligence collective pour produire des recherches sur l’impact social et environnemental des entreprises.

De plus, plusieurs plateformes offrent de nouvelles opportunités d’échange et de collaboration entre universitaires et praticiens, ainsi qu’entre entités privées et publiques. C’est le cas de Building Bridges, une initiative conjointe lancée en 2019 par les autorités suisses, la communauté financière, les Nations unies et d’autres acteurs internationaux pour faire progresser la finance durable. Et c’est encore à Genève que de nombreux instruments financiers innovants pour la poursuite d’efforts philanthropiques ont été développés, comme les «obligations à impact humanitaire» émises par le Comité international de la Croix-Rouge, avec la participation d’acteurs financiers genevois.

Une numérisation éthique et inclusive

Comme la plupart des domaines, la philanthropie est confrontée à la transformation numérique laquelle peut permettre d’accroître l’efficacité, la transparence et la collaboration. Dans ce contexte, l’intelligence artificielle (IA) présente un potentiel significatif. En raison de sa complexité, cette technologie soulève toutefois un certain nombre de questionnements autour des avantages, des coûts et des risques associés.

À l’heure actuelle, la philanthropie est essentiellement analphabète en matière d’IA et reste donc absente des débats sur les réglementations, les applications potentielles et l’utilisation de l’IA. Afin de mieux comprendre son potentiel, le Behavioural Philanthropy Lab de l’UNIGE a lancé un projet de recherche, réunissant le monde universitaire, la société civile et l’industrie pour discuter du rôle de la philanthropie pour une IA inclusive et éthique. De même, le Geneva Science and Diplomacy Anticipator (GESDA) explore «la manière dont les progrès de la science et de la technologie peuvent être traduits le plus efficacement en outils et utilisés au profit de l’humanité.»

Ces ingrédients font du «système genevois», un environnement unique qui, s’appuyant sur la culture, le potentiel d’innovation et la communauté hétérogène de Genève, peut jouer un rôle majeur pour le bien commun en incubant des projets qui exprimeront progressivement leur potentiel dans un horizon de vingt ans.