«Il n’y a rien de ce qui paraît être en dehors de nous, qui ne soit nous.» Ainsi commence un article publié en 1872, dans un quotidien français aujourd’hui disparu, qui s’appelait lui aussi Le Temps. Sand y déployait, il y a 150 ans, une vision à rebours de celle de l’homme tout-puissant, dominant la nature et la pliant à sa volonté, se proclamant abusivement «roi de la création». Non, l’homme ne domine pas la nature, il en fait partie, il est la miette d’un tout, d’une globalité.
La respiration de tous les êtres
Sand poursuit: «Toute la terre et tout le ciel agissent sur nous à toute heure, et, à toute heure, nous réagissons sur toute la terre et sur tout le ciel sans nous en apercevoir. Tout ce qui est, est réceptacle ou effusion, élément ou aliment de vie. Il faut la respiration de tous les êtres pour que chacun de nous ait sa dose d’air respirable.» Il n’y a pas rupture, mais continuité au sein du vivant, entre les plantes, les animaux, les êtres humains… Détruire ou saccager la faune ou la flore, c’est se détruire soi. Nous sommes même liés aux pierres, rappelle l’auteure dans un autre texte: «La pierre, qui a contribué à mon ossature en me fournissant la partie calcaire qui est ma base, est une aïeule.» La pierre elle aussi vit et nous fait vivre.
Cent cinquante après sa parution, nous sommes enfin prêts à entendre le message de George Sand, sans le minimiser ni le ridiculiser (pensez donc, une femme de lettres qui parle de fleurs, d’oiseaux, de coquillages, ne peut pas être sérieuse!) Les savants virilistes et conquérants, les positivistes du XIXe siècle convaincus de la domination de l’homme sur le monde, les femmes et les animaux sont dépassés. C’est sa voix à elle désormais, humble, poétique, qui nous porte: la voix de Sand. «Et moi, pauvre atome, quand je me sens arc-en-ciel et voie lactée, je ne fais pas un vain rêve. Il y a de moi en tout, il y a de tout en moi.»
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