«Avec tous ces débats, je n’ose plus prendre l’ascenseur.» Voilà la phrase que j’ai entendue à plusieurs reprises au parlement fédéral, ces derniers jours. Non pas de parlementaires femmes comme on pourrait l’imaginer, mais de collègues masculins. Remarque condescendante face aux témoignages des femmes? Plaisanterie de déni? Retournement du fardeau de la peur?

Dans ce cas, j’invite ces messieurs à prendre l’escalier. Qu’ils en profitent pour réfléchir à la manière dont se vivent les rapports entre les genres et voir comment mieux respecter la place des femmes au parlement.

Les femmes dans une impasse

Et la première mesure, c’est de prendre acte avec sérieux de la parole des femmes. Ce qui me choque aujourd’hui, c’est de constater que les femmes se retrouvent, à nouveau, dans une impasse. Celles qui témoignent à visage découvert sont raillées par certains dans les couloirs du Palais fédéral, sur les réseaux sociaux, et sans doute dans la population. Comme si l’indignité des comportements vis-à-vis d’elles contaminait la sincérité de leurs propos. Comme si relativiser leur récit allait nous décharger de notre responsabilité collective. Comme si le vieux schéma «elle l’a bien cherché» repassait la porte du parlement. Et celles qui témoignent anonymement ne sont pas mieux loties! Là aussi leur parole est mise en doute, y compris par des femmes qui trouvent ces épanchements «minables» (Doris Fiala, Forum, 4 décembre). Quoi que fassent ces élues, elles se retrouvent sur le banc des accusées. Témoigner ouvertement est une exagération, anonymement une lâcheté, se taire une complicité.

Résultat, l’auteur des gestes et comportements déplacés va faire carême avec l’argent du contribuable et les témoignages des femmes, qu’ils soient assumés ou anonymes, sont remis en question ou relativisés. Et tout le monde, peu ou prou, attend qu’on passe à autre chose.

Témoigner ouvertement est une exagération, anonymement une lâcheté, se taire une complicité

Ce qui m’intéresserait, plutôt que d’exposer plus encore les femmes aux lumières crues des médias et de l’opinion publique, c’est de libérer la parole des parlementaires masculins. Rappelons que la responsabilité de changer les pratiques leur incombe au moins autant, si ce n’est en premier lieu! Quel est leur «ressenti» sur ce sujet? Est-ce si difficile de faire la différence entre séduction et harcèlement? Ont-ils été choqués par des attitudes et comportements de collègues? Et si oui, pourquoi n’ont-ils pas réagi? Sentent-ils quand leurs propos et leurs comportements sont déplacés? Qu’une plaisanterie grivoise met mal à l’aise? Quand une collègue féminine est réduite à son genre plutôt qu’à sa fonction? Est-ce si difficile de considérer qu’une femme élue a autant de valeur qu’un homme élu?

Parlement fragilisé

Enfin, le comportement de Yannick Buttet a fragilisé une de nos institutions démocratiques les plus importantes, le parlement fédéral. L’irrespect que le conseiller national a reconnu avoir manifesté envers les femmes et ses collègues féminines au parlement envoie une image catastrophique à la population. Que le temps, l’opinion ou le monde politique l’exonèrent de ses responsabilités n’est pas acceptable.

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Le parlement lui-même ne peut penser que le calme après la tempête médiatique va panser toutes les plaies et résoudre tous les problèmes. Les présidences du Conseil national et du Conseil des Etats ont eu des mots très forts à la suite des révélations parues dans les médias. La solennité des critiques doit être suivie d’effets. Pour que les groupes politiques restent des lieux de débats et de projets, ils doivent garantir à chacune et chacun de leurs membres qu’ils et elles seront traités avec respect. Cela signifie proposer écoute et discipline en cas de dérapage. Quant au parlement, il doit mettre à disposition des élues et des élus un espace de soutien et de conseil.

Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre ni sur le fonctionnement du parlement, ni sur les parlementaires. Mais plutôt de montrer notre capacité de prévenir et d’agir.

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