Les gérants indépendants en grande forme
Lundi finance
AbonnéLa gestion de fortune indépendante est l’alternative professionnelle et rassurante aux mastodontes bancaires, ces colosses aux pieds d’argile soi-disant «too big to fail»

Historiquement, la gestion de fortune a toujours représenté le terrain de prédilection des banques suisses. Fin du secret bancaire, chute de Credit Suisse... Qu'en est-il aujourd'hui? Réponses avec des experts:
On le pressentait il y a plus d’une décennie déjà: la gestion de fortune allait changer. Avec l’augmentation des coûts opérationnels, les investissements nécessaires (technologiques, pour la mise en conformité), la contraction des marges et le durcissement réglementaire, le marché pariait sur la consolidation des gérants de fortune indépendants (GFI) et une place prépondérante pour les banques. C’est l’opposé qui s’est passé. Le nombre de banques en Suisse continue à diminuer année après année: 163 banques en 2010, 92 en 2022 selon une étude de KPMG.
75 nouvelles structures en 2022
Les gérants de fortune indépendants quant à eux occupent de plus en plus le terrain: les avoirs totaux gérés par les 40 membres de l’Alliance des gérants indépendants (environ 130 milliards) représentent plus que les avoirs des plus petites banques privées combinées (29 banques pour 69 milliards). Les GFI font preuve d’un réel dynamisme, comme en témoigne la création de plus de 75 nouvelles structures en 2022 en Suisse.
La gestion de fortune classique est en mutation profonde, poussée par des clients plus jeunes, plus impliqués, plus informés, à s’adapter à un monde en constante évolution, mais aussi par le régulateur (Finma). Les gérants indépendants sont depuis janvier 2023 soumis à une surveillance prudentielle particulièrement exigeante, offrant ainsi une sécurité supplémentaire aux clients desdites institutions mais également une organisation plus rigoureuse des maisons de gestion de fortune indépendantes. Le GFI a irrémédiablement acquis un statut institutionnel, semblable aux banques, tout en conservant ses spécificités principales: flexibilité, proximité et indépendance.
La technologie permettant un accès instantané aux portefeuilles n’est plus seulement un souhait, c’est devenu une nécessité. Les revues de portefeuilles avec le banquier ne suffisent plus, les salons feutrés n’ont plus autant d’attrait, le papier brillant est de moins en moins accepté: les temps ont changé. Nous sommes passés de la rareté de l’information, du banquier comme seul interlocuteur, à de l’information accessible en masse et gratuite, parfois même instantanée, à une multitude de choix pour faire gérer son patrimoine. Des choix qui amènent à une réflexion fondamentale: peut-on véritablement conseiller ses clients dans leur meilleur intérêt alors que, en parallèle, notre rémunération dépend des produits qu’on leur vend? Le banquier a-t-il la liberté de vous conseiller d’ouvrir un compte dans une autre banque afin de diversifier le risque de contrepartie?
Institutionnalisation et numérisation
Aujourd’hui, les clients de la gestion de fortune sont de plus en plus jeunes non seulement parce qu’ils héritent du patrimoine de leurs parents, mais également parce que la création de richesse par l’entrepreneuriat ou le sport se fait plus rapidement, plus tôt et prend de l’ampleur, surtout dans un tissu économique comme la Suisse dominé par des PME. La gestion de fortune ne s’adresse plus uniquement aux patriarches.
Cette nouvelle génération de clients est sensible à la rapidité des réponses fournies, à l’accès technologique pour revoir leurs portefeuilles, mais également aux placements innovants, aux allocations d’actifs personnalisées, à la transparence des frais, au conseil indépendant. Le mot «indépendant» est galvaudé et à lui seul n’est pas garant de l’absence de conflit d’intérêts: il est nécessaire de choisir son camp; soit on vend, soit on conseille – seule recette possible pour rester indépendant.
Par ailleurs, les clients sont de plus en plus nombreux à vouloir intégrer les investissements à impact, voire la philanthropie dans leurs réflexions patrimoniales. Il ne s’agit plus seulement de gagner davantage d’argent et de voir son gérant performer, mais d’être accompagné dans une réflexion, un projet de vie. L’augmentation notable de la participation des femmes dans la gestion de leur patrimoine va forcer les gérants, qui sont aujourd’hui encore à majorité masculine, à revoir la constitution de leurs équipes ainsi que les services offerts.
Le gérant d’aujourd’hui ne peut plus négliger les robo-advisors, la technologie, la blockchain. Ces éléments doivent faire partie de sa réflexion, voire de son offre: le gérant doit pouvoir appréhender les changements profonds qui s’opèrent dans nos sociétés. Rappelons-nous, il y a encore quelques années, on ne pouvait pas imaginer faire des vidéoconférences avec des clients ou acheter des livres en ligne.
A l’aube d’un profond changement
Dans un environnement où une banque systémique, de 167 ans, pilier de notre économie, disparaît pour être absorbée par UBS – pesant désormais 5000 (!) milliards d’actifs sous gestion –, de nombreux clients privés pourraient se sentir dépassés par la taille et la complexité d’une telle structure. Ces derniers vont sans doute privilégier des structures à taille humaine, agiles, efficaces et épurées, mais tout aussi régulées et professionnelles, des structures qui savent ce que fait la main gauche quand la droite est occupée. En d’autres termes, les gestionnaires de fortune indépendants, qui se trouvent au cœur de tout l’écosystème en tant que «chefs d’orchestre»: ils répartissent les avoirs auprès des meilleures banques et peuvent ainsi offrir une véritable approche autonome et plus adaptée aux besoins spécifiques de chaque client, ce qui peut s’avérer précieux dans un contexte de marché en constante évolution.
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