Les participants au sommet du G8 à Lough Erne (Irlande du Nord) ayant envisagé la tenue à Genève d’une éventuelle conférence sur la Syrie, il est temps de s’intéresser de plus près à l’environnement multilatéral si dynamique de cette petite ville suisse, un environnement en rupture avec les tendances internationales et ouvert sur une nouvelle forme de gouvernance mondiale.

Il est de bon ton de critiquer la gouvernance mondiale. Les mécanismes sur lesquels la communauté internationale s’est fondée semblent de plus en plus inadaptés pour faire face aux problèmes actuels de manière efficace.

Or il semble que les critiques n’aient pas toujours tort. L’environnement économique et financier reste précaire. De longues années de négociations et des données scientifiques de plus en plus nombreuses concernant les effets du comportement humain sur le climat n’ont pas encore permis d’aboutir à un accord juridiquement contraignant pour réduire les émissions de carbone. Le cycle des négociations commerciales de Doha, qui devait introduire des règles du jeu plus équitables pour les pays développés comme pour les pays en développement, est dans l’impasse. La Conférence du désarmement, principale instance de négociation au niveau mondial en matière de désarmement, n’a pas réussi, au cours des seize dernières années, à se mettre d’accord ne serait-ce que sur un programme de travail. Et la liste n’est pas close. Qu’il s’agisse de la sécurité, de l’environnement ou de l’économie, nous sommes apparemment dépourvus tant d’une orientation claire que d’outils adaptés.

Cependant, cette analyse omet d’importants aspects de la transformation de la gouvernance mondiale et de son mode de fonctionnement. Cela n’est nulle part plus évident qu’à Genève, devenue une des bases de gouvernance les plus actives de la planète.

Plus de 170 Etats membres de l’ONU ont des missions permanentes à Genève et de nouvelles s’y installent périodiquement. Le système des Nations unies emploie quelque 10 000 fonctionnaires à Genève, répartis dans plus de 35 entités différentes, collaborant avec une multitude d’autres organisations internationales et aux côtés de 400 organisations non gouvernementales, d’un secteur privé dynamique et d’établissements universitaires de pointe.

Certaines des crises les plus complexes de la planète sont ici l’objet de négociations discrètes, se déroulant sans fanfare, faisant de Genève un des principaux centres de diplomatie préventive au monde.

Le Conseil des droits de l’homme, qui a gagné en importance, y a son siège et s’attache à promouvoir le respect des droits de l’homme à l’échelle mondiale. L’action du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, du Comité international de la Croix-Rouge et d’autres partenaires contribue à soulager la détresse humaine. Tout un écheveau de conventions relatives au désarmement concourt à la sécurité, à la stabilité et au développement. L’Organisation mondiale de la santé joue un rôle de premier plan en aidant à améliorer la santé publique dans le monde entier.

Genève jouit d’une grande considération, étant le point de convergence singulier d’efforts de collaboration concrète dans des domaines tels que l’emploi, la propriété intellectuelle, le commerce, le développement, les technologies de l’information et de la communication, et la météorologie. Cette sorte de gouvernance ne fait pas les gros titres, mais elle contribue réellement à changer la vie.

Cela étant, il y a d’importantes leçons à retenir de l’expérience de Genève.

Premièrement, il nous faut transcender les divisions institutionnelles et thématiques. Point n’est besoin de rappeler que nul pays, nul organisme, ne peut à lui seul relever les défis actuels. Or il reste en réalité très difficile de décloisonner les activités. A Genève, les réseaux d’acteurs intervenant sur des questions multisectorielles telles que la consolidation de la paix ont été particulièrement efficaces en suscitant de nouveaux modes de réflexion et de collaboration sur des problèmes existant de longue date. La construction prévue depuis longtemps de la Maison de la paix, qui accueillera bon nombre des capacités intellectuelles de Genève, devrait renforcer ce potentiel de réflexion innovante.

Deuxièmement, des partenariats plus constructifs doivent être instaurés avec la société civile au sens le plus large. En matière de promotion et de sensibilisation, le rôle des organisations non gouvernementales s’avère indispensable. Cependant, les universitaires et les chercheurs, et tout particulièrement les organismes scientifiques, doivent aussi être largement mobilisés, tout comme le secteur privé. Nul ne peut s’attendre par exemple à trouver de véritables réponses au problème des changements climatiques sans établir de liens avec les connaissances scientifiques. Le GIEC, doté d’un secrétariat à Genève, rassemble des centaines de scientifiques précisément dans ce but. De même, on ne peut compter développer les possibilités d’emploi sans la participation du secteur privé qui fournit les postes de travail voulus. Dans le cadre de l’Organisation internationale du travail à Genève, travailleurs et employeurs participent sur un pied d’égalité avec les gouvernements aux efforts entrepris pour offrir des emplois aux 200 millions de chômeurs de la planète.

Troisièmement, différents modèles de gouvernance doivent être envisagés en fonction des enjeux. Il n’y a pas de solution passe-partout. Les négociations multilatérales à grande échelle, conduites et déterminées par les gouvernements, conservent leur utilité. ­Elles restent le seul cadre permettant d’aller de l’avant sur des questions ou dans des contextes donnés. Mais elles ne sont plus le seul moyen de traiter un problème. Le régime de souveraineté des Etats n’est nullement mis en péril: simplement, une approche complémentaire s’avère nécessaire. Plus vite la notion de concurrence entre différents modèles disparaîtra, plus vite nous pourrons mettre à profit les atouts des multiples modes de gouvernance dont nous disposons.

Sur les rives du lac Léman, les institutions et les simples particuliers ont appris à travailler de concert en se libérant des carcans rigides et en faisant appel à toutes les disciplines. A condition d’accepter de tels enseignements, il y a moyen d’amplifier notre action en nous attelant à des problèmes internationaux pressants.

Directeur général de l’Office des Nations unies à Genève

Certaines des crises

les plus complexes de la planète sont ici l’objet de négociations discrètes, sans fanfare

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