La situation que vit la CGN représente une crise majeure, crise due au manque d’anticipation, avec des origines conjoncturelle, structurelle, financière, historique et économique.
Evidemment conjoncturelle, car depuis les accords bilatéraux et la libre circulation des personnes, toutes les courbes démographiques montrent une hausse sensible de la population lémanique, sur les rives suisses et françaises. Conséquence évidente, la fréquentation sur toutes les lignes transfrontalières est en hausse constante depuis dix ans. Comment les dirigeants de tous bords ont-ils pu être surpris par cet état de fait?
Structurelle, car le monopole de la CGN favorise cette situation de blocage. La seule alternative des usagers insatisfaits est de prendre la voiture et d’encombrer un peu plus un réseau déjà saturé. Quant à voir s’installer une autre société de transport sur le lac Léman, c’est pour le moment illusoire!
Ensuite, la réorganisation de l’année 2012 a constitué un frein car pendant trois ans, le mot d’ordre était: la CGN doit d’abord se réorganiser. Ce temps perdu se paie au prix fort aujourd’hui.
Historique car, lorsque l’on s’attarde sur les investissements en bateaux depuis 1990, date de mise à l’eau du Léman, la CGN a mis en service des unités soit trop grandes (Lausanne), soit trop petites (Navibus, navettes Morges, Lavaux et Valais), donc inadaptées aux besoins du transport public. La compagnie doit ainsi utiliser à contre-emploi ses bateaux: le Lausanne en remplacement du Léman; les navettes Morges sur la ligne N4; il doit surexploiter ses deux Navibus, installer une triplure pour combler le manque de places, voire sortir le navire amiral La Suisse pour transporter les pendulaires!
Cela fait 23 ans qu’aucun bateau adapté au besoin du transport public n’est sorti du chantier naval.
Crise financière, enfin, puisque le problème de fond est le financement de la CGN. Comment comprendre les blocages alors que les deux régions concernées montrent un dynamisme remarquable, alors que la CGN couvre 82% de ses charges, alors que l’investissement dans un bateau est faible comparé à d’autres infrastructures (route ou voie ferrée), alors que la CGN fait payer au prix fort ses prestations aux clients, alors que le canton de Vaud perçoit de l’Etat français plus de 75 millions de francs au titre de la rétrocession sur les salaires des travailleurs frontaliers, alors que ce même canton de Vaud ne doit pas financer, pour cette main-d’œuvre importée, les infrastructures lourdes que sont le logement, l’enseignement, la santé?
Ajoutons qu’à court terme, les perspectives de l’économie vaudoise sont florissantes. Les finances publiques présentent des chiffres à faire pâlir d’envie de nombreuses collectivités territoriales européennes. Mais justement, le différentiel avec la France voisine s’intensifie et Vaud agit comme un aspirateur vis-à-vis de son voisin. A l’évidence, la croissance vécue ces dernières années sur toutes les lignes Mobilité devrait se prolonger à court et moyen terme.
Avec l’arrivée des trois cantons à la barre de la vénérable société (qui fête ses 140 ans), on peut espérer malgré tout un virement de bord. L’arrivée à la présidence de Rémi Walbaum en est peut-être le premier signe. Mais force est de constater, un an après ce changement, que le bilan est encore mitigé. Le plan stratégique plusieurs fois annoncé n’est toujours pas validé.
Face à la forte évolution de ce bassin d’emploi, riche, dynamisé par les accords bilatéraux et la libre circulation des personnes, au cadre de vie attirant, la solution doit impérativement passer par une approche globale. Elle doit couvrir non seulement les investissements propres à la CGN, mais aussi les aménagements des rives suisses et françaises: gares lacustres, parkings, interconnexion avec les autres modes de transport public. En tout cas, elle doit renforcer l’ancrage du transport public lacustre dans le développement du bassin lémanique. Les pouvoirs publics des deux rives doivent le comprendre et s’atteler vite à cette tâche, et résoudre l’épineuse question du financement entre la Suisse et la France, car ils ont tout à y gagner: la Suisse pour continuer à nourrir son économie, la France pour assurer un niveau de vie hors du commun dans les départements concernés.
En attendant la mise en œuvre de ce plan à long terme, il faudra gérer la longue période de transition. C’est par le dialogue et la négociation avec tous les partenaires impliqués qu’on évitera des tensions inéluctables générées par des décisions inadaptées. A l’évidence, nous sommes aujourd’hui au début de cette période de crise. Demain, la saturation gagnera toutes les lignes transfrontalières.
Il faudra alors définir la priorité du transport public par rapport au tourisme, mobiliser les ressources actuelles aux heures pendulaires, exploiter au maximum le potentiel existant, quitte à mettre en service des bateaux à aubes, pourquoi pas réaménager certains navires pour augmenter la capacité en places assises intérieures, le souci n’étant pas le confort mais la sécurité des passagers circulant toute l’année.
On le voit, les défis sont d’importance pour la CGN, sa direction, son conseil d’administration, et surtout pour les autorités politiques des deux bords. Alors, Mesdames et Messieurs, courage, à l’abordage pour renflouer ce retard de vingt ans qui plombe la CGN!
Coordinateur de la sous-commissionTransport lacustre, Groupement transfrontalier européen
Le dialogue et la négociation entre tous les acteurs concernés, en Suisse et en France, pavent la sortie de crise