Opinion
OPINION. Les commentaires se déchaînent sur Greta Thunberg, le symbole de la lutte anti-réchauffement, constatent Pascal Gygax et Pascal Wagner-Egger de l’Université de Fribourg. Car il est difficile de reconnaître ses erreurs

Au moment de l’apparition de nouvelles simulations scientifiques qui montrent que le réchauffement climatique est sans doute encore plus grave qu’initialement prévu, les commentaires se déchaînent sur Greta Thunberg, le symbole de la lutte anti-réchauffement. Cette jeune Suédoise de 16 ans est désormais chaque jour la cible d’une quantité invraisemblable de reproches et d’insultes visant à la discréditer, elle et son discours, que l’on peut regrouper en quatre catégories: 1) elle est une enfant et ne connaît pas suffisamment de quoi elle parle, 2) elle est pessimiste (apocalyptique), 3) fanatique (émotive, antidémocratique, démagogique) et, last but not least, 4) elle souffre de problèmes psychiques (et ne devrait donc pas s’engager politiquement).
Pas comme Donald Trump
Sans même parler de la dernière critique, d’une bassesse remarquable, il nous paraît évident que les trois premières catégories de reproches sont également déplacées. En effet, sans une part de passion et de mobilisation des foules, tous les changements sociaux qui nous paraissent désormais des évidences, comme l’égalité entre femmes et hommes, ou les droits civiques des populations noires aux Etats-Unis, n’auraient tout simplement jamais été amorcés. Les spécialistes des sciences sociales connaissent bien l’immobilisme et l’inertie des sociétés humaines, la lenteur et l’ampleur des changements nécessaires — l’égalité entre femmes et hommes est, par exemple, encore loin d’être réalisée. Par conséquent, prôner des solutions radicales et agir parfois de manière spectaculaire est la seule chance de faire bouger les choses, ne serait-ce que de quelques centimètres.
Prôner des solutions radicales et agir parfois de manière spectaculaire est la seule chance de faire bouger les choses
Greta Thunberg n’est pas, comme Donald Trump, à la tête d’un pays doté d’un arsenal nucléaire, et les interrogations sur la santé psychique ou les emportements de ce dernier sont infiniment plus préoccupantes que celles à propos d’une actrice sociale sans autre pouvoir que celui des mots et des gestes symboliques. Par ses paroles, parfois dures à entendre, et ses actions courageuses, elle ne fait que tenter démocratiquement de faire évoluer, un peu moins lentement, les mentalités.
Gérer l’anxiété
Les critiques, parfois réellement fanatiques, émotives et démagogiques, de ses détractrices et détracteurs peuvent s’expliquer de plusieurs manières. D’abord, l’anxiété – justifiée – provoquée par les projections alarmistes des scientifiques et la résistance envers l’ampleur des changements à accomplir peuvent trouver un exutoire dans la désignation d’un bouc émissaire fortement médiatisé. Ensuite, pour une bonne partie de l’échiquier politique et de la population, c’est sans doute une période difficile: une très grande majorité de scientifiques donne entièrement raison aux écologistes qui avertissent depuis des décennies — depuis au moins le club de Rome de 1968 — des dangers du mode de vie moderne pour la planète. Admettre ses erreurs demande une grande humilité et sans doute beaucoup plus de courage que de déverser son fiel sur Greta Thunberg.
Quand les scientifiques présentent plusieurs scénarios possibles d’évolution de la vie humaine sur Terre, et que dans ceux-ci il y a un risque (aussi faible soit-il) d’extinction, il nous semble de la plus haute rationalité de réclamer avec passion des mesures fortes, dans l’espoir qu’une partie d’entre elles, même affaiblies, soient appliquées assez tôt et puissent assurer la survie de l’espèce humaine sur la Terre. Merci Greta de le faire pour nous toutes et tous!
Pascal Gygax & Pascal Wagner-Egger sont membre de l'équipe de psycholinguistique et psychologie sociale appliquée de l’Université de Fribourg.
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