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La guerre des langues n’aura pas lieu, mais…

Le vote zurichois en faveur du maintien de l’enseignement du français à l’école primaire ne doit pas être interprété comme un «satisfecit». Il est temps d’écouter les enseignants, écrit Christophe Büchi

Les Zurichois ont voté en faveur du maintien de l’enseignement du français dès l’école primaire. — © KEYSTONE/Ennio Leanza
Les Zurichois ont voté en faveur du maintien de l’enseignement du français dès l’école primaire. — © KEYSTONE/Ennio Leanza

D’abord, il est utile de rappeler les faits. Le dimanche, 14 mai, les citoyens et citoyennes du canton de Zurich ont refusé à une majorité de 60% une initiative cantonale qui voulait revenir à l’enseignement d’une seule langue dite «étrangère» à l’école primaire. En d’autres termes, les petits Zurichois vont continuer à avoir des leçons d’allemand, d’anglais et de français dès le début de leur scolarité. Remarquons toutefois que même si l’initiative avait été acceptée, on aurait continué d’enseigner deux langues au cours de la scolarité obligatoire. Seulement, la deuxième langue ne serait intervenue qu’à l’école secondaire.

Lire à ce propos: Zurich reste bilingue à l’école primaire

En d’autres termes encore: la «guerre des langues» que l’on a évoquée une nouvelle fois, n’aura pas lieu. Et c’est une bonne nouvelle.

En réalité, l’issue de la votation zurichoise n’est pas une surprise. Même si l’impression prévaut parfois en Suisse romande que les Alémaniques ont d’ores et déjà mis une croix sur l’enseignement du français, la réalité est tout autre. Jusqu'à aujourd’hui, tous les cantons où des votations populaires ont eu lieu sur ce thème, ont décidé de maintenir le principe de l’enseignement de deux langues, à savoir du français et de l’anglais, dès l’école primaire – y compris les cantons de Suisse orientale comme Schaffhouse et Thurgovie. Le canton de Zoug a dit oui aux deux langues par plus de 60%, et même le petit canton de Nidwald a clairement rejeté une initiative qui voulait bannir une des deux langues des classes primaires.

L’apprentissage précoce est-il efficace?

Aussi, l’issue de la votation zurichoise ne m’a nullement surpris, et même la netteté du résultat n’est pas si surprenante. Il me semble qu’un peu de sang-froid doit être de mise si l’on veut comprendre le débat scolaire en Suisse. En effet, je reste frappé par le fait que même les meilleurs parmi mes collègues romands perdent parfois leur jugeote lorsqu’il s’agit de ces questions-là. Ainsi, une excellente consœur a pu écrire récemment: «L’enseignement du français prend l’eau en Suisse alémanique. Déjà il n’est qu’un «problème». Bientôt, il ne sera qu’un souvenir.» Mais c’est absurde! On n’en est pas là, heureusement!

Il me semble qu’un peu de sang-froid doit être de mise si l’on veut comprendre le débat scolaire en Suisse

Cela dit, je ne nie pas que l’enseignement du français reste l’objet d’un débat démocratique tendu dans certains cantons alémaniques. Le 14 juin, le parlement thurgovien va une fois de plus débattre du maintien de l’enseignement du français à l’école primaire. Il est possible – si ce n’est certain – que les parlementaires thurgoviens persistent à vouloir renvoyer le français à l’école secondaire, malgré le vote des citoyens zurichois. La question pourrait une fois de plus être soumise à une votation cantonale. Il n’est pas dit que la décision finale des Thurgoviens sera défavorable au français – même si le risque existe.

Le grand problème est que l’enseignement précoce du français n’apporte apparemment pas les résultats espérés (d’ailleurs, on peut également se demander si l’enseignement de l’allemand dans les écoles primaires romandes a vraiment rehaussé le niveau général des connaissances). En tout cas, une bonne partie des enseignants et enseignantes – et c’est finalement eux et elles qui peuvent en juger – en doutent.

Lire également: Pourquoi il y a une «lutte à la culotte-Graben» en Suisse

A l’écoute des enseignants

Personnellement, je serais heureux si leurs jugements étaient plus enthousiastes car je suis un défenseur résolu du multilinguisme suisse. Mais les faits sont têtus. A vouloir les ignorer, on risque de se faire mal.

Il est d’ailleurs frappant qu’en Suisse alémanique, la contestation de l’enseignement des deux langues parte de plus en plus des milieux d’enseignants. Or on ne peut pas faire la sourde oreille devant la contestation venant du «front de l’enseignement», au nom d’une raison d’Etat qui aimerait promouvoir le multilinguisme.

Si certains politiciens tirent de la votation zurichoise la conclusion «que nous sommes sur la bonne voie», cela me semble en tout cas fort dangereux. Beaucoup de choses doivent être améliorées pour que l’enseignement des langues donne réellement des résultats satisfaisants, notamment sur le plan de l’échange des élèves et de l’immersion. Déduire de l’issue de la votation zurichoise qu’on a «fait tout juste», équivaut à aller dans le mur à brève échéance.

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