EDITORIAL. Des divergences apparaissent dans le camp occidental. L’Europe a tout à perdre d’une guerre qui s’éternise en Ukraine, alors que les Etats-Unis y voient l’occasion historique d’affaiblir la Russie

C’est une réalité dont on ne perçoit que les prémisses: la guerre en Ukraine rebat toutes les cartes géopolitiques et rend le monde plus dangereux, plus imprévisible que jamais.
Les Etats-Unis, certes, s’en sortent bien – pour l’instant. Leur industrie de l’armement tourne à plein régime, leurs producteurs de céréales vont profiter de la hausse des prix et leur gaz va remplacer en partie le gaz russe auquel les Européens doivent renoncer. Stratégiquement, Washington a accompli un sans-faute, qui efface leur fiasco en Afghanistan. Ils ont dévoilé les plans russes, permis à l’Ukraine de résister, font un retour spectaculaire en Europe et montrent leurs muscles à la Chine.
L’Union européenne, elle, se retrouve sous tension. D’abord, la question de l’élargissement se pose avec une urgence déconcertante: l’Ukraine la réclame à hauts cris, la Géorgie espère profiter du mouvement alors que les candidats balkaniques actuels refusent de se faire griller la priorité. L’idée d’Emmanuel Macron d’une «communauté politique européenne» est intéressante, mais pourrait échouer au pied d’une montagne de problèmes institutionnels, comme le projet similaire de François Mitterrand en 1991.
Lire aussi: Armes, gaz, blé: comment les Etats-Unis tirent profit de la guerre en Ukraine
Et surtout, l’UE doit maintenir son unité, miraculeusement née le 24 février. Le refus hongrois d’entériner l’embargo des Vingt-Sept sur le pétrole russe n’est qu’un aperçu des tensions à venir, alors que la guerre semble partie pour durer.
Tout ne tient qu’à un fil
Cette durée, justement, menace le Vieux-Continent bien davantage que les Etats-Unis. D’où ces divergences: Paris et Berlin, dont la priorité reste une paix négociée le plus rapidement possible, critiquent de plus en plus ouvertement le bellicisme américain. Pas question, pour les Européens, de laisser pourrir le conflit dans l’idée d’affaiblir la Russie. Pas question de couper les ponts avec Moscou et de rendre la paix impossible à court ou moyen terme. Pas question non plus de donner aux Ukrainiens de faux espoirs d’une hypothétique «défaite» russe. Pas question, enfin, de se substituer aux Ukrainiens et de leur dicter les termes d’une négociation avec la Russie, quand celle-ci pourra reprendre.
Plus largement, cette guerre que la Maison-Blanche veut voir comme une lutte existentielle entre la Russie et «le monde libre» apparaît plutôt comme un divorce entre l’Occident et le reste du monde. De grandes démocraties comme l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil ou l’Indonésie ont des positions plus nuancées, voire carrément favorables à la Russie.
Dès lors, tout ne tient qu’à un fil. Celui des combats sanglants en cours, de la crise alimentaire mondiale qui se profile, des élections américaines de mi-mandat en novembre ou des menaces de dérapage nucléaire. Fini l’équilibre des blocs issus de la guerre froide et des attentats du 11-Septembre, bienvenue dans l’inconnu.
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Il y a 1 semaine
Ouf, on respire! La Liberté d‘expression reprend ses droits! Oui, et je pense que la grande crainte des États-Unis, ce n‘est pas l‘Ukraine, mais l‘Europe, qu’elle échappe à son contrôle, voire que, couplée à une Russie “fréquentable”, elle devienne, vu les richesses de cet immense pays, un pôle économico-politique indépendant et à equi-distance des États-Unis et de la Chine. En recherchant tout le temps la guerre au lieu de la paix, paniqués par les changements de l’ordre mondial, les États-Unis perdent peu à peu leur leadership. Meilleures salutations. Denise Plattner
Il y a 1 semaine
En réponse à Mme Plattner ci-dessous, non, vous ne rêvez pas, elle parle bien d’une Russie “fréquentable” ! Cette même Russie qui attaque sa nation-soeur, attaque Kiev la mère des villes qui abrite dans son coeur les lieux saints de l’Eglise orthodoxe, La Russie qui tue les civils dans le dos, assassinent les enfants avec des mines, déportent et séparent des familles… Si cette Russie est “fréquentable” pour vous, ce serait un drame que de vous rencontrer.
Il y a 1 semaine
"Stratégiquement, Washington a accompli un sans-faute, qui efface leur fiasco en Afghanistan. Ils ont dévoilé les plans russes, permis à l’Ukraine de résister..."
Comment les Etats-Unis pouvaient-ils dévoiler les plans russes alors que le 21 février, lors d'une session du Conseil de sécurité diffusée à l'échelle nationale, les plus proches confidents du président Poutine semblaient complètement dans le noir quant à ce que la reconnaissance de Donetsk et de Louhansk impliquerait. Narychkine, du service de renseignement extérieur, a tant bafouillé que Poutine a exigé qu’il déclare sans ambiguïté son soutien à la décision d’envahir l’Ukraine. Au terme de cet échange, Narychkine semblait trembler de peur. Même Patrouchev, un tchékiste conservateur pur et dur et l’éminence grise de Poutine, voulait informer les États-Unis des plans de la Russie d'envoyer des troupes en Ukraine - suggestion qui est restée sans réponse.
Pour une décision aussi lourde de conséquences que l'invasion d'un pays voisin, n'est-il pas remarquable d'observer combien d'organes de l'État étaient laissés en dehors du cercle des rares initiés? Les institutions économiques ont été prises par surprise - quand Elvira Nabiullina, directrice de la banque centrale russe, a voulu démissionner début mars, elle a été sommée de rester à son poste et de faire face aux retombées économiques. Les militaires ne semblaient pas non plus au courant de toutes les phases du plan et ont passé des mois à déplacer des dizaines de milliers de soldats autour de la frontière sans savoir si on leur demanderait d'attaquer.
L'opération clandestine de Poutine a même été cachée aux autres services secrets. Les responsables du département FSB chargés de fournir au Kremlin des renseignements sur la situation politique de l'Ukraine, par exemple, ne croyaient pas vraiment qu'une invasion aurait lieu. Plusieurs analystes affirmaient avec certitude que cela nuirait aux intérêts nationaux de la Russie. Certains que l'hypothèse d'une attaque à grande échelle était hors de propos, les fonctionnaires ont continué à alimenter Poutine avec l'histoire qu'il voulait entendre : les Ukrainiens étaient des frères slaves qui n’attendaient que d’être libérés de la collaboration nazie et des laquais de l’Occident contrôlés par Kiev.
Comment les Américains auraient-ils pu savoir avant même les services secrets russes et l’entourage proche du chef de l’État que l’invasion de l’Ukraine était un coup préparé de longue date par le FSB et que le but de l'opération était d'imposer un contrôle total sur la société russe, comme aux temps de Pierre le Grand et d'Ivan le Terrible, par une bureaucratie de sécurité et de contrôle sans visage au sommet de laquelle un tsar d'opérette est assis?
Il y a 6 jours
L'Ukraine un saut dans l'inconnu... Surtout pour les Ukrainiens!
Les démocraties libérales occidentales doivent soutenir militairement le combat du peuple ukrainien jusqu'au retrait total des forces russes du territoire de l'Ukraine, au-delà des frontières de ce pays reconnues par la communauté internationale en 1991 déjà, et confirmées par la Fédération de Russie dans le Mémorandum de Budapest de 1994.
Quoi négocier avec Poutine? Rappelons que Poutine a déjà violé sans vergogne tous les accords relatifs aux frontières de l'Ukraine, ainsi que les Accords d'Helsinki qui interdisent en Europe l'usage de la force pour résoudre les litiges entre États. La reconquête de l'empire russe selon Poutine a déjà passé par
- Guerre en Géorgie - Abkhazie et Ossétie du Sud - 2008
- Guerre en Ukraine et occupation d'une partie du Dombass - 2014
- Annexion de la Crimée – 2014
Elles ont eu lieu sans grandes réactions de l'Occident, en dehors de quelques sanctions économiques qui ont encouragé Poutine dans la voie des actions militaires.
Depuis 24 février dernier, Poutine conduit une guerre d’agression contre l’Ukraine, Etat souverain et indépendant. Comment peut-on parler de bellicisme de la part des Etats-Unis et de Biden en particulier, lorsqu’il parle d’affaiblir la Russie. Cette forme d’amalgame entre l’attitude réaliste des Etats-Unis et la guerre de Poutine avec ses nombreux crimes de guerre contre un peuple innocent, est tout simplement indécente. Certes, un jour viendra où des négociations seront envisageables avec le(s) maître(s) du Kremlin. Aujourd’hui la Russie impose cyniquement à l’Ukraine le champ de bataille pour solde de tout compte. Vainqueur et vaincu seront affaiblis. Souhaitons que la Russie de Poutine en supporte les conséquences les plus lourdes, et ne craignons pas de le dire, soit durablement affaiblie dans sa politique impérialiste et totalement déstabilisatrice pour la paix en Europe et dans le monde.