Guerre en Ukraine: l’Histoire se répète-t-elle pour le CICR?
OPINION
OPINION. Alors que les prisonniers de guerre sont devenus une monnaie d’échange et que les Conventions de Genève sont constamment foulées aux pieds, l’ancien délégué Thierry Germond redoute une instrumentalisation du CICR, qui viserait à l’exclure de tout processus d’enquête internationale

Lors de la guerre de Corée, à la suite des accusations du bloc communiste selon lesquelles les Etats-Unis avaient utilisé des armes bactériologiques, ces derniers demandèrent l’établissement d’une Commission d’enquête internationale dont le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), intermédiaire neutre, impartial et indépendant, était appelé à désigner les membres. Ne pouvant guère s’opposer à pareille initiative à laquelle elle ne s’attendait probablement pas, l’URSS décida de la torpiller en discréditant le CICR. Pour ce faire, le Conseil mondial pour la paix, contrôlé par Moscou, présidé par Frédéric Joliot-Curie, fut chargé de monter un dossier incriminant le CICR de sorte à exclure tout rôle de sa part.
A la demande de Joliot-Curie, l’éminent helléniste lausannois, le professeur André Bonnard, militant pacifiste et membre du Conseil mondial pour la paix, fut chargé de constituer un dossier démontrant que le CICR, de par la situation personnelle et les conflits d’intérêts de ses membres, découlant de leurs relations avec l’économie suisse, n’était pas qualifié pour désigner une commission neutre et indépendante.
En 1952, alors qu’il allait décoller de Zurich pour Berlin Est où se tenait une session du bureau du Conseil mondial pour la paix, le professeur Bonnard fut arrêté, porteur de notices individuelles sur chacun des membres du CICR. S’ensuivit un retentissant procès à Lausanne, devant la Cour pénale fédérale, dont l’issue fut une peine symbolique et l’humiliation des limiers de la police fédérale, qui avaient cru leur heure de gloire arrivée. De fait, les notices du professeur Bonnard reprenaient les informations figurant dans les rapports annuels des entreprises dont des membres du CICR étaient administrateurs et les notices biographiques publiées par le CICR lui-même.¹
Un quasi-monopole de l’information
Depuis plus de cinq mois, on assiste en Ukraine à une scandaleuse instrumentalisation de la question des prisonniers de guerre et à la manipulation de leur sort ainsi que des souffrances et de l’inquiétude de leurs familles. Pour chacune des parties à ce conflit international, les prisonniers de guerre et même les morts au combat sont une monnaie d’échange.
Les Etats signataires des Conventions de Genève sont restés silencieux jusqu’ici malgré l’obligation qui leur est faite de «respecter et faire respecter» ces Conventions.² Se gardant de dénoncer le non-respect des Conventions de Genève par les deux parties au conflit et les violations constantes, depuis cinq mois, du droit international humanitaire par la Russie et l’Ukraine, la classe politique occidentale se contente de mobiliser l’opinion sur la question des crimes de guerre imputés à la Russie dont le nombre impressionnant est présenté comme une vérité établie alors qu’à ce jour aucune enquête indépendante sérieuse n’a abouti à une inculpation. Le quasi-monopole de l’information sur cette grave question est détenu par la procureure générale ukrainienne, récemment tombée en disgrâce, qui considère, à l’instar du gouvernement de M. Zelensky, que tout combattant russe est a priori un criminel de guerre!
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Il aura fallu attendre, cinq mois après le début du conflit, l’annonce de l’attaque de la prison d’Olenivka le 29 juillet 2022, dont on ignore les circonstances dans lesquelles elle a eu lieu et le nombre de prisonniers qui en ont été victimes, pour que les gouvernements occidentaux et la presse internationale commencent à s’intéresser au sort des prisonniers de guerre dans le cadre de ce conflit dont les deux parties, de par leur mépris des Conventions de Genève, ont démontré une lourde responsabilité que la propagande ne doit pas occulter.
Vendredi, 53 prisonniers de guerre ukrainiens d'Azovstal tués dans le bombardement de la prison d'Olenivka (Donetsk… https://t.co/vI0GZlTwjb
— stefsiohan (@Stéphane Siohan)Invalid date
Une exigence politique et morale
Si solliciter le CICR pour enquêter, ainsi que l’a fait l’Ukraine, semble se justifier, il importe que la Russie se joigne à cette requête et que le CICR ou une autre organisation jugée indépendante et impartiale désigne les membres d’une Commission d’enquête internationale. La responsabilité de la Russie ayant déjà été affirmée publiquement par certains responsables politiques occidentaux, notamment par le chef de la diplomatie européenne, il est permis de douter qu’une telle Commission voie le jour prochainement.
On ne peut que penser à la guerre de Corée et se demander lequel de l’Ukraine et de ses alliés ou de la Russie a le plus grand intérêt à torpiller cette proposition. Mettre en avant le CICR est peut-être une possibilité d’y arriver! Les critiques dont fait l’objet ce dernier dans les médias sociaux semblent être un signe avant-coureur.
D’ici à ce qu’un accord crédible et sérieux soit trouvé, il y a une exigence politique et morale à laquelle doivent immédiatement répondre l’Ukraine et la Russie. Tous deux ont l’obligation de respecter les Conventions de Genève et par conséquent doivent immédiatement donner accès à tous les prisonniers de guerre aux délégués du Comité international de la Croix-Rouge. Ils doivent de s’y engager publiquement. Les Etats signataires des Conventions de Genève doivent s’exprimer clairement à ce sujet.
2) Ainsi qu’établi dans l’article 1 commun aux quatre Conventions de Genève.
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