Les plus sceptiques diront que le livre de Leila Seurat rejoint la volonté du Hamas de gagner en respectabilité puisqu’elle oublie de couvrir la dimension terroriste de l’organisation islamique et qu’elle entend en faire un acteur diplomatique incontournable pour la paix israélo-palestinienne.

Difficile de ne pas entendre le ton perplexe de ces voix. En effet, depuis que les Occidentaux ont rejeté la victoire électorale du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) en janvier 2006, quelques voix en France ou ailleurs poussent les chancelleries à revenir sur leur décision. Elles les appellent à entamer un dialogue avec ce mouvement au pouvoir à Gaza et à ouvrir un nouvel horizon au conflit israélo-palestinien aujourd’hui dans l’impasse. Faire la paix avec Israël passerait aussi par l’amorce d’un dialogue avec cette organisation devenue un acteur diplomatique de premier plan. On en est loin…

Mais l’ouvrage de Leila Seurat est bien plus qu’une tentative de réhabilitation du Hamas. Il s’agit d’abord de comprendre ce phénomène comme un fait social. A partir de nombreux entretiens et d’une étude approfondie des sources, la jeune politiste ouvre la boîte noire du Hamas et nous fait entrer dans le labyrinthe de cette organisation complexe dont le commandement est partagé entre la Palestine, les prisons en Israël et l’étranger.

D’autres formes de politique étrangère

Elle nous explique ensuite que la diplomatie n’est pas l’apanage des Etats. Qu’il existe d’autres formes de politique étrangère que celle des machines étatiques. Sur ce plan, les cas du Kurdistan ou du Sahara occidental, ces zones grises aux mains d’autorités en relation avec certains Etats, auraient peut-être mérité d’être rappelés comme précédents dans le cadre d’une comparaison. Mais sa recherche est si exhaustive qu’elle devait d’abord se pencher sur l’originalité de la diplomatie du Hamas, avant de chercher à le comparer avec d’autres cas.

Il n’y a ni condescendance ni empathie dans son traitement du mouvement islamique. Au contraire, Leila Seurat démontre que si cet héritier de la branche gazaouite des Frères musulmans a un rôle diplomatique à jouer, cette reconnaissance l’oblige à faire preuve de plus de sens des responsabilités. En fait, l’auteur sort des sentiers battus et ouvre de nouvelles pistes de réflexion sur le rapport entre Etats et zones grises, ces entités non reconnues mais incontournables et dont la bande de Gaza est l’exemple le plus emblématique du monde.

Enfin, cette première tentative d’étude scientifique sur cette organisation soulève deux questions: au nom de la paix, faut-il parler avec le Hamas, au pouvoir à Gaza mais figurant sur la liste terroriste de l’UE ? La recherche de partenariats ne se heurte-t-elle pas aux blocages internes du mouvement responsable d’erreurs stratégiques et d’occasions ratées de faire la paix ?

© Le Monde

«Le Hamas et le monde», de Leila Seurat, CNRS Editions, Paris, 2015, 344 pages

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