Phase I: les affrontements délétères survenus au cours du mois de mai 2021 en Israël-Palestine s’inscrivent comme la résultante d’une catastrophe annoncée. Leur conjonction était unique, mais pourtant connue de tous, et a été exploitée à différents desseins. Sa dimension marque un tournant, car il est très peu probable qu’elle se répète à nouveau avec la même pathogénie au risque de faire exploser les derniers espoirs de pacification avec pour principale et incontournable victime des millions de Palestiniens pris entre plusieurs feux.

Le résultat probable, mais redouté de tous, celui de ses quatrièmes élections nationales en deux ans, a laissé Israël avec l’embarras d’une noria de premier ministre liquidant les affaires courantes, candidats premiers ministres, premiers ministres pressentis et premiers ministres en réserve de la République, inhérente à tout système de démocratie représentative à la proportionnelle intégrale. De l’autre côté de la ligne verte, les élections des organes politiques palestiniens, sevrés de l’autorité issue du suffrage universel mis en veilleuse depuis 2006, ont été sèchement renvoyées aux calendes grecques, privant l’Autorité palestinienne, héritière de la saga Arafat, d’un indispensable supplément de légitimité. La question d’une participation de Palestiniens de Jérusalem-Est aux élections palestiniennes ne pouvait que se heurter au conflit juridique en cours sur l’expulsion d’un certain nombre d’habitants arabes du quartier de Cheikh Jarrah. Ordonnée par les autorités israéliennes, dont la résolution attend incessamment une décision de la Cour suprême, devant laquelle les propriétaires arabes peuvent porter leurs contestations.

La conquête de Jérusalem

Le plan de partage de la Palestine prévoyait, comme partie intégrante, un statut spécial pour Jérusalem parallèlement à la création de deux Etats, l’un juif, l’autre arabe, musulmans et chrétiens confondus. La conquête de Jérusalem-Est par la Légion arabe l’a placée, à la fin de la guerre d’indépendance d’Israël, sous domination jordanienne et vidée de sa population juive. La conquête de Jérusalem en 1967 par Tsahal, en dehors de tout objectif politique mûrement établi, renverse la situation et la dépouille, en fait, de son statut spécial, jamais formellement annulé. La Cour suprême israélienne n’hésite pas à solliciter le droit national, international voire le vide juridique, les droits israélien, britannique, ottoman, pourquoi pas byzantin, pour trancher en tout bien tout honneur, en faveur de la partie israélienne ces questions cadastrales. Mais toujours en droit. Le report de sa décision dans le cours des récents événements a peut-être galvaudé une ultime chance de préserver les droits des uns et de prêcher l’apaisement.

La collision chronologique d’événements heureux: les célébrations rituelles et programmées des agapes et festivités accompagnant la pratique quotidienne iftar et la fin du ramadan aïd dans les populations locales dans le périmètre de l’esplanade de la mosquée Al-Aqsa avec la commémoration incontournable de la conquête de Jérusalem en 1967 par Israël était connue et attendue de tous. Les mesures de sécurité appliquées incombant aux autorités israéliennes révèlent un mélange inhabituel de naïveté, d’aveuglement politique et d’improvisation sécuritaire. Aggravé par le contexte décrit plus haut. Point besoin donc d’une dose supplémentaire de provocation pour générer une flambée et sa prévisible propagation en l’état.

Phase II: en ces choses-là, des dispositions sécuritaires nécessaires à la coexistence de communautés segmentées doivent être arrêtées directement ou indirectement avec les parties concernées, pour Israël l’Autorité palestinienne et le Hamas au moins, selon des canaux éprouvés. Au lieu de quoi, le franchissement inattendu mais nullement fortuit d’un palier avec l’entrée en guerre du Hamas contre Israël par un déluge de feu. Le nombre ahurissant d’engins aériens (au moins 4000) déversés sur les populations israéliennes, toutes confessions confondues, est aujourd’hui connu. Une telle prouesse, au nez et à la barbe de tous, témoigne d’une préparation minutieuse, patiente et professionnelle intégrant la capacité de maintenir la cadence sous les contre-feux de l’adversaire. Qui n’a rien vu arriver, n’a pas repéré les centaines de rampes de lancement détruites par la suite au coup par coup? Cela expliquerait en partie l’antienne «deescalation», un néologisme anglais, passant en mode mantra sur les chaînes TV israéliennes les premiers jours.

Israël a le droit de se défendre

Le renversement stratégique du Hamas passant des manifestations suicidaires le long de la barrière de sécurité à une technique inspirée des orgues de Staline sort couronné de succès malgré son échec en Israël sur le terrain militaire et sur le plan humain dans les deux camps. Le stupéfiant déploiement de l’armée israélienne, nullement freinée par l’incurie des politiques, lui aura permis de vérifier à l’échelle 1:1 l’efficacité du bouclier antimissile capable de détruire près de 90% des projectiles en vol. Ce que tout un chacun a constaté et ce qui rend légitime la question de savoir quel aurait été le nombre de morts dans la population d’Israël avec un score moins honorable. Sous la protection du Dôme de fer, il restait à Tsahal à actionner, à son tour, l’effet boomerang des bombardements visant à neutraliser le meccano mis en place par le Hamas. Avec une efficacité beaucoup plus aléatoire au prix des inestimables pertes humaines que cela implique dans la population civile.

Israël a le droit de se défendre, a-t-on entendu dire pendant plusieurs jours après le début de sa réplique militaire. Le droit des gens lui en faisait l’obligation, qui ne fait pas d’exception même pour le peuple juif. En fait, le Hamas était prisonnier de son succès. Il prêtait désormais le flanc à une offensive diplomatique à grande échelle des Etats-Unis et à son exclusion de toute solution de paix sans un dépôt préalable des armes, aggravée par un statut de coupable pour avoir déclenché cette guerre. Ce qui ouvrait la voie à une redistribution des cartes au bénéfice d’interlocuteurs palestiniens et arabes plus crédibles, avec le redoutable déshonneur pour le Hamas et ses alliés d’avoir à leur courir après.

Une seule puissance détenait la clé, qui n’a pas mis tout son poids dans la balance, nous rappelant que les Polonais avaient eu jadis, les premiers d’une longue liste, le droit de se défendre jusqu’au 11 décembre 1941. Paradoxalement ou pas, une Allemande de l’Est s’est distanciée de cet esprit munichois, celui de 1938, pas celui de 1972. Pour le reste, chacun a pu assister à ces 11 jours de guerre sur son écran et se confronter aux lumineuses interprétations et autres expertises sur les intérêts politiques immédiats des uns et des autres.

Les Nations unies ont voté le partage de la Palestine

Phase III: ce qui est et demeure fondamental, c’est que les Nations unies ont voté le partage de la Palestine, le 29 novembre 1947, en faveur de deux Etats indépendants arabe (musulmans et chrétiens) et juif et en faveur d’un régime international particulier pour Jérusalem. Seule l’Assemblée générale de l’ONU peut défaire ce qu’elle a fait. La guerre déclarée à l’Etat d’Israël, dès la proclamation de son indépendance par les pays arabes, qui avaient voté contre la partition, lui a permis de corriger à son profit le premier tracé abracadabrantesque des frontières entre les deux entités étatiques lors des Armistices de paix de Rhodes de 1949. Au prix d’une hémorragie de réfugiés palestiniens et aussi de Juifs de Jérusalem-Est.

Malgré un chapelet de guerres et le catalogue de conflits armés exploré méthodiquement depuis 1948, toutes les résolutions des Nations unies ont confirmé jusqu’à récemment la prééminence de ces deux textes fondamentaux. En 1989, Yasser Arafat, suivi par l’OLP, dont Mahmoud Abbas assume la présidence, avaient déclaré «caducs» les articles de la Charte nationale palestinienne qui rejetaient la partition de la Palestine et déclaraient nul et non avenu l’établissement d’Israël. Les accords officiels ou semi-officiels conclus à ce jour sur le plan international, Accords d’Oslo, de Genève, de Camp David, de Washington, de Jéricho-Gaza, de Taba, de White River, d’Abraham, etc. jalonnent, depuis longtemps déjà, le chemin de la paix. Leur mission sacrée est de sauver des victimes, des millions de femmes et d’hommes traînant leur misère sous nos yeux, et pas leurs dirigeants.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a voté, le 27 mai, à une très faible majorité la création d’une commission d’enquête sur les violations des droits de l’homme qui auraient été commises durant les hostilités.

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