La violence domestique a désormais un coût. Pour la première fois en Suisse, une étude portée par le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes en chiffre le montant: entre 164 et 287 millions de francs chaque année, soit les dépenses d’une ville comme Fribourg.

Ces montants pharaoniques ont le mérite d’évaluer l’investissement direct d’une société dans un phénomène qui la dépasse. Ils forcent par ailleurs l’ensemble des pouvoirs publics à mener une politique claire en faveur de la prévention et à terme de l’éradication de ce type de violence dénoncé depuis quelques décennies déjà par l’ensemble des associations actives sur le terrain. Cet engagement ferme et résolu s’avère d’au­tant plus nécessaire que, comme l’ont précisé les auteurs de l’étude, cette somme représente uniquement la pointe de l’iceberg. Elle ne tient pas compte des conséquences indirectes entraînées par la violence domestique: la perte de qualité de vie, l’absentéisme, la baisse de qualité au travail… Pour cette estimation globale, les coûts annuels pourraient atteindre quelque 2 milliards de francs.

Les résultats de cette étude interpellent. Derrière la réalité des chiffres se profilent, comme des ombres tenaces, des victimes – pour deux tiers des femmes –, qui vivent la terreur et un quotidien inacceptable. Les violences domestiques ne recensent hélas qu’une partie des victimes de la criminalité liée au genre. Dans notre pays, 552 viols ont été commis en 2011, et de très nombreux cas n’apparaissent pas dans les statistiques. On sait, en effet, que les jeunes filles craignent la comparution en justice, qui équivaut à revivre le traumatisme pour des peines souvent dérisoires. En Suisse encore, près d’une femme sur quatre a été victime de harcèlement ou d’abus sexuel. Entre 1500 et 3000 femmes et enfants seraient victimes de la traite des êtres humains. Environ 6700 femmes ont subi des mutilations génitales.

A l’échelle de la planète, ces exactions régulières, quotidiennes, ont pris des allures de fléau. En 1995 déjà, la Plateforme d’action de Pékin signalait que les violences contre les femmes requéraient une action immédiate. Près de dix ans plus tard, le phénomène n’a aucunement reculé. Bien au contraire: selon les estimations de l’ONU, les violences à travers le monde causent plus de décès que le cancer, la malaria, les accidents de la circulation et même la guerre. Viols, prostitution, traite des êtres humains, harcèlement, crimes d’honneur… La déclinaison des violences liées au genre laisse perplexe tant elle est diversifiée. Elle atteint désormais les dimensions d’une tragédie massive à l’échelle de notre planète.

De fait, ces crimes quotidiens laminent les sociétés et sont de plus en plus l’affaire de tous. Les hommes, bien que dans une proportion moindre, en sont également les victimes directes. Quant aux autres, de par l’ampleur du phénomène, ils se trouvent liés aux changements profonds de mentalité qu’il faut engager sans attendre, tant les équilibres de nos collectivités sont menacés. On le constate derrière chaque drame qui secoue l’opinion publique – on pense aux meurtres d’Adeline et de Marie: la violence basée sur le genre fait vaciller la cohésion d’une société qui ne se reconnaît plus dans la répétition de tels ­actes et dans la banalisation de l’hor­reur.

Il s’agit dès lors d’impliquer de plus en plus d’hommes, ambassadeurs de la non-violence, engagés à défendre les principes d’une société plus harmonieuse. Cette réflexion large, inclusive, engagée depuis des années déjà dans les pays nordiques, représente une issue quant au changement en profondeur auquel doit s’atteler toute société souhaitant se prémunir durablement contre les exactions intolérables. Au Canada en 1991, 100 000 hommes s’étaient engagés à porter un ruban blanc, pour remettre en question des comportements de violence liés au genre. Depuis, plusieurs campagnes ont été menées, d’autres associations ont été créées, leur dénominateur commun étant la remise en question des principes pouvant en­traîner des violences. Ces mou­vements interrogent l’idée traditionnelle de la masculinité, particulièrement la manière dont les garçons, dès leur plus jeune âge, sont poussés vers des modèles d’insensibilité et d’agressivité. Alors que les filles sont encouragées dans des attitudes de compréhension, de patience, de passivité, voire de docilité.

Cette année, des hommes politiques suisses n’ont pas attendu la parution des chiffres inquiétants pour se déterminer. Dans le cadre de la campagne nationale suisse Ruban blanc, qui démarre ce 25 novembre, ils s’engagent aux côtés des femmes à ne tolérer aucun acte de violence lié au genre et à ne pas demeurer passifs face aux exactions dont ils sont témoins. Parmi ces ambassadeurs figurent des politiciens d’envergure nationale comme les conseillers d’Etat Pierre Maudet, François Longchamp ou Pierre-Yves Maillard et le conseiller national et conseiller administratif Guil­laume Barazzone; des personnalités comme Sepp Blatter, président de la FIFA, ou Marco Solari, président du Festival du film de Locarno. En portant le ruban blanc, ils affichent leur volonté de faire ployer certains schémas pour enrayer la spirale de la violence. En se mobilisant, la Suisse peut faire figure d’exemple et de référence mondiale dans ce sursaut citoyen et humaniste.

Fondatrice et directrice de la Fondation Sommet mondial des femmes. Responsable de la campagne nationale suisse Ruban blanc. Représentante à l’ONU

Le rassemblement Ruban blanc est prévu le 25 novembre à Genève dès 12 h. Il marque la Journée internationale pour l’élimination de la violence envers les femmes. Informations: www.ruban-blanc.ch

Les hommes ambassadeurs de la non-violence: un élément clé de la lutte contre les crimes liés au genre

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