Hongkong et le nœud coulant chinois
Opinion
AbonnéOPINION. Repose en paix, Hongkong démocratique. Place à la «démocratie à caractéristiques chinoises», écrit Lionel Fatton, professeur assistant en relations internationales à l’Université Webster de Genève

La ville portuaire, qui fut un jour promise à une large autonomie économique et administrative jusqu’en 2047, basée sur le principe «un pays, deux systèmes», à la corde au cou. La résistance de la frange libérale de la population hongkongaise contre la mainmise grandissante de Pékin a résulté en une accélération du déclin des libertés démocratiques. Se débattre contre le nœud coulant du Parti communiste chinois paraît dès lors suicidaire. A ce rythme, les derniers vestiges de la démocratie dans le «port parfumé» auront disparu bien avant 2047.
En 2014, les appels à l’élection au suffrage universel direct du chef de l’exécutif de la région administrative spéciale se multiplient, à quoi la Chine répond en proposant que la population choisisse parmi trois candidats sélectionnés au préalable par le Comité électoral, à la solde de Pékin. Concession insuffisante pour beaucoup, qui se mobilisent pour une liberté totale dans le choix de l’exécutif. La «révolution des parapluies» qui en découle est étouffée par la police et l’appareil judiciaire. En juin 2015, l’idée d’une réforme du système politique hongkongais est rejetée: le chef de l’exécutif continuera d’être élu par le Comité électoral. Coup d’épée dans l’eau donc. Mais le bourreau est maintenant sur ses gardes, et le coupable sur l’échafaud.
Le nœud se resserre
2019, un projet de loi met le feu aux poudres. La législation permettrait l’extradition et le jugement en Chine de Hongkongais, laissant craindre une utilisation arbitraire par Pékin afin de neutraliser les activistes pro-démocratie. Face à l’opposition d’une grande majorité de la population, la cheffe de l’exécutif Carrie Lam suspend puis enterre le projet de loi, mais trop tard. Les revendications de la rue portent désormais sur une refonte complète du système politique. La seconde moitié de l’année 2019 est marquée par des manifestations d’une ampleur et d’une violence sans précédent. Les Hongkongais tirent sur le nœud coulant.
Ne restera alors à la démocratie hongkongaise que l’apparence, car même le suffrage universel serait dénué de sens dans un tel système
La réponse policière à Hongkong est forte, mais il est temps pour Pékin de reprendre la main. En juin 2020, le Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire, sous le joug du Parti communiste, adopte la loi sur la sécurité nationale de Hongkong. Cette dernière criminalise les actes de sécession, subversion, terrorisme et collusion avec des forces étrangères, passibles de prison à perpétuité et dont certains peuvent être jugés sur le territoire chinois. Environ 100 personnes ont été accusées d’avoir violé la loi, notamment 47 militants pro-démocratie arrêtés en janvier dernier pour avoir conspiré à la subversion du pouvoir étatique. Leur faute: l’organisation en juillet 2020 d’une primaire en vue d’élections législatives finalement reportées à cause de l’épidémie de Covid-19.
Le nœud coulant se resserre autour de l’opposition démocratique. Un grand nombre de ses partisans s’autocensurent, alors que ses meneurs renoncent à leurs ambitions politiques, sont pris dans les mailles du filet judiciaire ou s’exilent. Mais l’inertie du corps démocrate en chute continue de tendre la corde. C’est ainsi que l’Assemblée nationale populaire annonce il y a quelques jours une réforme radicale du système électoral hongkongais. Le Comité électoral pro-Pékin élira une grande partie des membres du Conseil législatif de Hongkong, son parlement, et sélectionnera tous les candidats. En d’autres termes, les parlementaires seront soit choisis, soit présélectionnés par le Comité. De plus, un organe d’examen chargé de filtrer les candidats au Comité électoral, au Conseil législatif et à la fonction de chef de l’exécutif sera créé afin que la région administrative soit gouvernée par des «patriotes.» Ne restera alors à la démocratie hongkongaise que l’apparence, car même le suffrage universel serait dénué de sens dans un tel système.
La mort de la démocratie
Rien ne semble pouvoir arrêter la Chine. La caste dirigeante à Hongkong est acquise à la cause du Parti communiste, tandis que ce dernier est soutenu par une population qui ne regarde plus les Hongkongais avec envie, mais avec dédain. L’éventualité de voir les investissements étrangers fuir Hongkong n’est plus aussi problématique que par le passé, la ville portuaire représentant aujourd’hui 3% du produit intérieur brut, contre 20% il y a deux décennies. Et la dépendance chinoise envers ce qui fut la porte d’entrée des technologies occidentales a été fortement réduite par le développement de pôles d’innovation internes, Shenzhen en particulier.
Les pays occidentaux couperont-ils la corde qui enserre Hongkong? Peu probable. Seule une action conjointe, d’envergure et donc provocatrice pourrait faire plier Pékin. Mais ces pays ont besoin de la Chine d’un point de vue économique, et ce surtout dans l’ère post-Covid-19 où la performance en la matière décidera de la légitimité de leurs gouvernements. Repose en paix, Hongkong démocratique. Place à la «démocratie à caractéristiques chinoises».
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*Lionel Fatton, professeur assistant en relations internationales, Université Webster de Genève
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