Il y a ensuite le motif de la mobilisation: le refus d’une loi d’extradition. N’importe où ailleurs – enfin presque – ce texte ne poserait pas de problème. D’ailleurs plusieurs pays européens ont signé de tels accords avec Pékin. Il n’est en soi donc pas scandaleux. Ce qui le rend inacceptable, c’est tout simplement la perte de confiance des Hongkongais en leurs autorités et plus encore en celles de Pékin. L’autonomie promise au nom du principe «un pays, deux systèmes» négociée entre Deng Xiaoping et Margaret Thatcher pour une durée de cinquante ans s’effrite année après année. On est bientôt à mi-parcours de cette échéance (2047). Et le hiatus grandit: Pékin considère cela comme une période de transition vers une intégration complète de Hongkong au système politique et juridique chinois. Les Hongkongais comptaient conserver leurs libertés avec l’espoir que la Chine évoluerait entre-temps vers des réformes politiques. On n’y croit plus.
En d’autres termes on a basculé dans l’ère de la défiance numérique
Mais ce qui est peut-être le plus surprenant, c’est la forme qu’a prise cette mobilisation. Souvenez-vous de la «révolution Twitter» en Iran en 2009, de la «révolution Facebook» en Egypte en 2011. C’était évidemment une exagération. Les réseaux sociaux n’en ont pas moins joué un rôle déterminant pour contourner la censure et les stratégies de répression des gouvernements. Le numérique était alors synonyme de nouvel espace de liberté, de mise en réseaux hors contrôle, de moyen de mobilisation.
A Hongkong, ces jours-ci, on assiste à un grand retournement: les organisateurs de la contestation abandonnent leurs réseaux sociaux pour une messagerie russe sécurisée (Telegram), les manifestants effacent messages et images, débranchent la géolocalisation de leurs appareils, renoncent à acheter leur billet de métro avec des cartes à puces et placent des parapluies devant les caméras de vidéosurveillance. Pourquoi? Ils ont peur. Ils savent que ces technologies sont devenues le principal instrument de surveillance policière. En d’autres termes, on a basculé dans l’ère de la défiance numérique.
Le retour à Bruce Lee
Ce n’est pas un hasard si cela se produit à Hongkong, l’appendice du pays dont la population est la plus surveillée de la planète. Nul pays n’est en effet allé aussi loin que la Chine dans le contrôle numérique de ses citoyens avec, en parallèle, un développement fulgurant de l’«intelligence artificielle», c’est-à-dire des algorithmes de dépistage comportemental qui permettent de tracer les personnes «déviantes». Plusieurs manifestants hongkongais ont été condamnés récemment sur la base de leurs traces numériques.
La parade? Bruce Lee, répondaient hier les manifestants qui maintiennent la pression. Selon le plus célèbre acteur hongkongais des années 1970, maître du film de kung-fu, il faut se rendre fluide comme l’eau afin de s’adapter à toute situation et ainsi dominer l’adversaire. Les manifestants ont donc multiplié de petites actions spontanées sur lesquelles la police n’avait pas prise. Ils espèrent à nouveau réunir la grande foule le 1er juillet prochain, date de la rétrocession de Hongkong à la Chine.
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